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Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/176

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cipes du moment répugnent encore plus à la sévérité dont nous avons besoin. Le duc de Brunswick ne veut pas qu’on lui reproche de sévérités en France, comme en Hollande ; il veut, au contraire, effacer le souvenir des premières par les formes actuelles. Ce calcul est très fâcheux pour nous, et nous laissera trop d’embarras si je ne parviens pas à le faire changer. Je ne puis me dissimuler que ce sera chose difficile… Le roi de Prusse, de son côté, est le meilleur des hommes, et tous les mouvements qui le portent à secourir le roi, le portent aussi à une grande bonté. Cependant, il m’a promis de donner des ordres de sévérité, et de les faire exécuter. Varennes, par exemple, doit être châtié ces jours-ci, mais je ne croirai à l’exécution qu’autant qu’elle sera faite. » Et il ajoute :

« Je crois, comme vous, qu’il ne faut pas être trop sévère sur le pillage, pour conserver l’ardeur du soldat, et sur cela il n’y a rien à demander aux généraux, ils sont fort, indulgents pour leurs soldats ; ainsi, en le laissant, on est sûr que l’avidité du soldat sera satisfaite ; au reste, il serait sans fruit de vouloir s’y opposer. Vous m’avez souvent entendu gémir sur ce malheur ; mais il va plus loin que je ne croyais. Les Hessois surtout le portent à l’extrême ; ces six mille hommes consomment en huit jours ce qui en ferait vivre vingt mille, et démeublent toutes les maisons. »

J’ai souligné la phrase abominable : celle où le baron de Breteuil regrette que les Prussiens laissent aux royalistes la désagréable besogne d’égorger eux-mêmes les jacobins. Il valait mieux pour la monarchie que l’exécution fût faite par l’étranger, et qu’elle trouvât des cadavres tout faits.

Cette politique de chacal donnait au duc de Brunswick et aux officiers cultivés de son armée comme des cauchemars de cimetière.

Pourtant, à travers tous ces brouillards lugubres, le généralissime de l’armée prussienne ne désespérait pas encore d’atteindre son but. Mais ce but, dès Verdun, et avant même d’avoir subi l’épreuve de l’Argonne, il le réduisait le plus possible.

« Le duc, écrit de Breteuil dans cette même lettre du 12, n’a qu’un but : arriver à Paris, et sauver le roi » Il comprenait très bien qu’il ne pouvait pas engager l’armée de la Prusse dans une lutte à fond contre le grand mouvement politique et social dont, dès sa rentrée en France, il avait perçu la force et l’étendue. Mais autour de lui, persistaient les illusions puériles. Les émigrés qui avaient rencontré Dumouriez dans les salons de l’ancien régime, crurent qu’ils pourraient le séduire. C’était trop tôt. Comment aurait-il abandonné la magnifique partie dont il pouvait attendre tant d’éclat, et sans doute tant de pouvoir ?

« Nous avons, écrit encore de Breteuil, envoyé deux émissaires à M. Dumouriez ; c’est le comte Dumontier qui lui a écrit et qui se croyait en droit de le faire d’après diverses conversations qu’il avait eues avec lui à Paris. D’ailleurs, la cour de Berlin espérait que ce Dumouriez voudrait l’entendre