Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/192

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« Cette terrible réflexion doit agiter le cœur d’un roi humain et juste. Il doit juger que, bien loin de protéger par les armes le sort de Louis XVI et de sa famille, plus il restera notre ennemi, plus il aggravera leurs calamités. »

Par quelle aberration le duc de Brunswick, qui avait ouvert lui-même les pourparlers, répondit-il à la note conciliante de Dumouriez par un manifeste insolent où de nouveau il sommait la nation française de ménager le roi, et où il insistait pour que la dignité royale en France fût rétablie sans délai dans la personne de Louis XVI et de ses successeurs ? Le duc de Brunswick avait-il eu peur soudain de s’être engagé trop avant, et d’avoir trahi sa faiblesse ? Ou bien interpréta-t-il l’empressement de Dumouriez à lui répondre, le ton conciliant de son mémoire, comme un signe de lassitude et de crainte ? Il semble bien que l’espérance soit un moment revenue aux envahisseurs. Fersen faisait sans doute écho à des bruits qui lui venaient de l’entourage de Brunswick lorsque, le 28 septembre, il écrivait de Bruxelles au baron de Breteuil : « S’il est vrai, comme on nous l’a dit hier, que Dumouriez ait demandé à capituler, c’est le moment de lui parler et de faire ses conditions. » Dans son journal, à la date du 28, Fersen note cette rumeur : « Un officier civil autrichien mande au comte de Metternich, par estafette du 25, qu’un courrier prussien a dit que Dumouriez était enveloppé, qu’il avait demandé à capituler et à se retirer avec ses troupes, en abandonnant ses canons, ses bagages et ses tentes ; que le duc avait demandé toutes les armes sans distinction. »

Évidemment, c’était un grossissement fantastique des illusions que se faisait l’entourage immédiat du duc de Brunswick. Mais il est permis de conjecturer que ces bruits étrangement optimistes ne se seraient point répandus si dans l’armée prussienne on n’avait un moment interprété l’attitude de Dumouriez au moins comme une marque d’hésitation et d’embarras. Aussi quand il répondit fièrement et brutalement, après le manifeste de Brunswick, que toute conversation était désormais impossible, c’est encore le poids d’une déception qui s’ajouta à tous les mécomptes sous lesquels pliait l’esprit du général prussien. Le duc de Brunswick put même se figurer que Dumouriez l’avait joué et que par de feintes négociations il avait immobilisé sous la pluie l’armée qui se décomposait. Le général prussien fut ainsi conduit à douter de lui-même comme de tout le reste ; et il n’avait plus qu’une énergie morale diminuée quand s’imposa à lui la question décisive : Allait-il encore s’enfoncer vers Paris dans les plaines boueuses de la Champagne, ou battrait-il en retraite ? De tout le poids de sa lassitude, c’est vers la retraite qu’il inclina. Il ne se sentait plus la force de porter les responsabilités. Or, c’était une responsabilité redoutable d’aller ainsi vers Paris grondant, avec une armée malade et amoindrie, sous la surveillance et la menace de l’armée révolutionnaire en qui s’exaltait le sentiment de la force.

De plus, quel résultat pouvait-on attendre de cette campagne imprudente et presque désespérée ? Il ne fallait pas songer à déraciner la Révolution qui