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Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/195

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positions qu’il a prises, fait une campagne qui fera époque dans les annales de la France.

« On aura peine à croire qu’il ait osé faire une retraite avec 17,000 hommes contre une armée de 80,000 hommes, prendre une position aussi avantageuse pour la tenir en échec, opérer sa jonction avec les différents corps qui venaient le secourir… Il a su maintenir les ennemis dans le pays de la France peut-être le plus aride, et les obliger enfin de se retirer honteusement du pays avec une armée diminuée au moins d’un tiers par les maladies et les prisonniers. »

Je note ici une curieuse allusion à Jeanne d’Arc :

« Nous terminerons cette lettre, écrivent les commissaires, en vous parlant de deux jeunes héroïnes qui sont ici, les citoyennes Fernig ; ces deux jeunes enfants, aussi modestes que courageuses, sont sans cesse aux avant-gardes et dans les postes les plus périlleux. Au milieu de l’armée, composée de jeunes citoyens, elles y sont respectées et honorées… Il n’échappera pas à la Convention nationale que, sous le règne de Charles VII, une fille célèbre contribua à replacer ce roi sur le trône. Nous en avons maintenant deux qui combattent pour nous délivrer des tyrans qui nous ont opprimés tant de siècles. »

On dirait que la peur de paraître céder au préjugé monarchique les empêche de rendre pleine justice à « la fille célèbre » qui ne sauva la patrie qu’en assurant un roi sur son trône. Et pourtant ils sentent bien que seule la grandeur d’un mouvement national a pu alors, comme aujourd’hui, susciter l’héroïsme des jeunes filles, et on devine que la sublimité même de la Révolution qui détruit le passé aidera bientôt l’esprit humain à le comprendre.

Dans leur mouvement de retraite, les Prussiens et Autrichiens durent abandonner Verdun, Longwy, qui furent réoccupés par les soldats de la Révolution. Les émigrés exaspérés, au lieu de s’accuser eux-mêmes, accusaient le duc de Brunswick : « C’est un homme dans la boue », écrit lâchement de Breteuil.

Mais Dumouriez, sûr maintenant du succès en ce point, ne voulait pas s’attarder à la poursuite. Il en avait chargé ses lieutenants, et lui-même, dès le 11 octobre, accourut à Paris, sans doute pour jouir de sa victoire, pour mesurer sa popularité et savoir jusqu’où il pouvait aller, mais surtout, pour préparer une campagne nouvelle, l’invasion de la Belgique.

Accueilli le 12 à la Convention par les applaudissements les plus vifs, il y tient un langage fier, spirituel et habile, rendant justice à tous, aux fournisseurs comme aux soldats, louant la discipline de ceux-ci comme leur vaillance, et, dans l’éloge, enveloppant le conseil. Mais c’est surtout par une sorte de gaieté héroïque que Dumouriez comprenait bien les soldats de la France révolutionnaire et communiquait avec eux. Cet homme étrange excellait