Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/202

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les profondeurs. La fuite précipitée des gouvernants autrichiens, c’était la fuite de l’étranger : ce n’était pas la fuite du passé. Hérault de Séchelles, président de la Convention, disait au courrier qui apportait la nouvelle de l’entrée de Dumouriez à Bruxelles :

« Citoyen, ce qui doit frapper le peuple français, ce n’est plus de marcher de victoire en victoire ; il y est accoutumé ; ce n’est pas la prise d’une ville ou d’un pays, c’est le mouvement révolutionnaire imprimé dans l’Europe, dans l’univers, et qui ne laisse plus de terme aux conquêtes de la liberté. »

Or, au même moment, Fersen, non sans exactitude, comme le démontreront bientôt les événements, note les impressions mêlées du pays. Il écrit, d’Aix-la-Chapelle où il s’était réfugié, au baron de Taube, le 19 novembre : « Vous étiez déjà au désespoir, mon cher ami, de la retraite du duc de Brunswick ; eh bien, vous le serez encore plus lorsque vous saurez que les Autrichiens se sont crus obligés d’abandonner les Pays-Bas, à l’approche de Dumouriez, et d’un tas de bandits, de voleurs et de rebelles. Cela fait horreur à penser, surtout lorsque l’on sait que c’est à la faiblesse, à l’imbécillité et au manque d’énergie du gouvernement et du duc Albert qui commandait l’armée qu’on doit ce malheur ; car les troupes sont excellentes, elles ont fait des prodiges de valeur, mais elles ont été mal conduites. Les Wallons se sont bien battus et sont restés fidèles jusqu’au moment où ils ont vu qu’on abandonnait Bruxelles et tout le pays ; alors seulement la majeure partie a quitté, mais la peur a saisi tout le monde ; tous n’ont pensé qu’à se sauver et ont tout abandonné ; ni armes, ni magasin, rien n’a été emporté, et on a tout laissé entre les mains des Français. Le pays même n’était pas mauvais ; il n’y a pas eu un seul mouvement de révolte dans le pays, et celui très petit à Anvers a été étouffé par les bourgeois eux-mêmes ; personne, si ce n’est la canaille, ne désirait les Français ; ils voient trop les malheurs des individus en France pour vouloir leur être assimilés, mais le gouvernement a fui lâchement et a tout abandonné, cela fait horreur. »

Dans une lettre du même jour au duc de Sudermanie, régent de Suède, il précise : « Depuis cette époque (depuis Jemmapes), la terreur panique s’est emparée de tout le monde. L’archiduchesse et le gouvernement ont fui précipitamment de Bruxelles, comme si l’ennemi avait été aux portes de la ville, emportant tout ce qu’il y avait de plus précieux et abandonnant le reste ; et l’armée n’est restée en avant de Bruxelles que pour assurer cette fuite qu’on aurait pu éviter en terminant plus tôt les différends avec les États de Flandre, dont les prétentions n’étaient pas très injustes, car ils demandaient seulement le maintien de la joyeuse entrée qui avait été garantie au moment où les Autrichiens ont fait la conquête du pays en 1790. Par cet acte, les conseillers du Brabant sont inamovibles, et ces États demandaient que les cinq conseillers qui ont été renvoyés par l’Empereur et qui sont l’objet de la discussion,