Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/268

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Et Cambon conclut : « Si à cette somme nous joignons ce qui est dû à la nation en contributions arriérées, les 100 à 150 millions que la trésorerie nationale a toujours en avance pour les dépenses courantes… les ressources pourront s’élever à un capital d’environ 3 milliards 3 ou 400 millions. »

C’était en effet un chiffre puissant, et comme une grande armée financière de seconde ligne. Cambon élève la voix pour avertir l’Europe monarchique et féodale que la Révolution est armée de richesses comme de courage. « Les despotes n’apprendront pas sans effroi la masse des ressources qui nous restent pour pouvoir les vaincre ; et cette connaissance, jointe à l’expérience qu’ils ont faite de nos forces et de notre courage, les fera craindre pour leur existence politique. » La Convention, décréta le 24 octobre, l’émission demandée par Cambon.

Mais déjà l’inquiétude commence. Il est bien vrai que près de 3 milliards de ressources semblaient encore disponibles. Mais d’abord, pour arriver à ce chiffre énorme il avait fallu tendre tous les ressorts. Malgré l’opposition véhémente des régions de l’Est, malgré la crainte de voir les Compagnies de capitalistes accaparer la richesse forestière, il avait fallu se décider à vendre les forêts. Et tandis que pour les champs, les prés, les vignes, la concurrence entre acheteurs avait maintenu les prix assez haut et les avait même portés au-dessus de l’estimation, pour les forêts les premières ventes réalisées obligeaient à prévoir un mécompte. Quand les ressources, énormes il est vrai, établies par Cambon seraient épuisées, il ne resterait plus à la Révolution aucune ressource extraordinaire ; tout le domaine qu’elle s’était créé aurait été dévoré, les biens d’Église, les biens de l’ordre de Malte, les forêts domaniales, les biens des émigrés. Or, déjà, en deux ans, et pendant une période presque toute de paix, près de trois milliards avaient été dévorés, tout l’immense domaine d’Église. Qu’adviendrait-il, si la guerre se prolongeait, des trois milliards qui restaient encore ? Bien plus vite ils seraient absorbés. C’est parce que, malgré son optimisme et malgré les succès tout d’abord éclatants des armées, Cambon pressentait des difficultés graves et peut-être prochaines, qu’il avait songé à réduire, par la suppression du budget des cultes, les dépenses ordinaires, le budget régulier de la Révolution.

Il annonce aussi l’emprunt forcé sur les riches ou quelque autre mesure de cet ordre : « Il sera peut-être possible d’augmenter encore ce capital en établissant des contributions passagères qui seraient supportées par les personnes aisées et égoïstes, qui attendent tranquillement dans leur foyer le succès de la Révolution ou qui s’agitent en secret pour la détruire. » Toutes ces combinaisons, tous ces projets attestent que, devant l’énorme surcroît de dépenses qu’apporte la guerre, Cambon n’est pas très rassuré sur l’équilibre des finances. Il est visible à tous que c’est seulement sur un système d’émission continue des assignats que reposent les ressources de la Révolution, et que l’assignat devient de plus en plus nécessaire tandis que son gage, puis-