Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/274

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et de prudence, mais avez-vous bien connu la cause de ces troubles ? La chute de nos manufactures, 30.000 ouvriers sans travail, la cherté excessive du pain et la crainte, malheureusement trop fondée, d’en manquer absolument, voilà ce qui a donné lieu aux scènes d’horreur dont notre ville a été le théâtre. Hélas ! c’est à regret que nous le prononçons, par quelle fatalité les Français, si unis pour la cause de la liberté, ferment-ils inhumainement les barrières qui séparent leurs départements, quand il s’agit de partager leurs subsistances avec leurs frères ?

« Pères de la patrie, rendez le calme à notre ville, ramenez un peuple égaré à la loi. Trente mille indigents demandent du pain à l’Administration. Le département a fait de vains efforts pour s’approvisionner. Si de prompts secours ne viennent offrir à la classe malaisée des ressources de travail, Lyon, naguère si florissante par ses manufactures, ne présentera plus à ses habitants que le souvenir de ses richesses.

« Représentants du peuple, pesez dans votre sagesse tous les moyens d’agitation que donnent aux perturbateurs les besoins urgents de tant d’infortunés ; voyez comme les conseils les plus destructeurs de toute société peuvent être aisément accueillis par des hommes qui disent chaque jour : « Nous ne demandons que du travail pour avoir du pain. » Le luxe n’est plus, il a laissé partout un grand vide, mais Lyon surtout en a senti les effets plus que toutes les autres villes. Si les circonstances ne s’améliorent pas, législateurs, nous n’avons plus d’autre existence que celle que nous donnera, l’humanité nationale. »

C’est la première cloche de détresse industrielle qui sonne depuis l’ouverture de la Révolution. Vergniaud s’éleva contre ces plaintes : il prétendit qu’il y avait chez plusieurs patriotes une déplorable facilité à semer l’alarme, à grossir les maux du peuple, et que cette complaisance aux rumeurs sinistres faisait le jeu de l’ennemi. Mais Charlier insista : « Tout ce que vient de dire Vergniaud n’empêchera pas que le pain vaut cinq sous la livre à Lyon et que le peuple est sans travail. » Pas de travail et pas de pain ! paroles terribles. « Nous demandons du travail pour avoir du pain ! » C’est comme un premier essai, timide encore et résigné, de la dramatique devise lyonnaise qui s’inscrira sous Louis-Philippe aux drapeaux noirs : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant. » Mais la Convention parut croire qu’il n’y avait guère, au fond de cette double réclamation : « du travail et du pain », qu’une question de subsistances et d’approvisionnement. À vrai dire, dans la pétition même des deux envoyés il semblait parfois que c’est le souci de l’approvisionnement qui dominait, et que, s’ils redoutaient le chômage, ils redoutaient plus encore la disette. Lehardy s’écria : « Que les citoyens riches de Lyon fassent comme ceux de Rouen, qu’ils se cotisent : ils préviendront ainsi par un approvisionnement bien ordonné les besoins des citoyens indigents. » Rouen, en effet, avait paru un moment, à la fin de septembre et en