Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/288

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Curieux effet de l’immense mouvement national qui mêlait les hommes de toutes les régions, de toutes les communes dans l’armée de la liberté ! Il avait fallu accorder des délais plus étendus, et ainsi cette cause secondaire, mais irritante, de déséquilibre s’ajoutait à toutes celles qui affectaient les prix.

Dans cette hausse générale des prix, c’est surtout le blé qui avait monté, et ce renchérissement du blé était doublement grave, d’abord parce qu’il atteignait l’alimentation du peuple, et puis parce que le blé était en quelque sorte un étalon de valeur par rapport auquel tous les prix se fixaient : ainsi une hausse démesurée du blé tendait à bouleverser et à hausser tous les prix.

Il y avait de région à région, et particulièrement du Nord au Midi, des différences énormes dans les prix du blé, du simple au double, mais partout il était extraordinairement cher. Le Conseil exécutif provisoire, dans sa proclamation du 30 octobre 1792, constate que « dans presque tous les départements méridionaux, le setier de grain de 220 livres poids de marc, se vend 60 livres et plus ». 60 livres, c’est effrayant : cela équivaut à peu près à 45 francs l’hectolitre et même plus. Dans le Nord, le prix n’est parfois que de moitié, mais presque partout, même dans les régions les plus favorisées, le prix atteint 37 livres le setier, ce qui est exorbitant. C’est le prix constaté par le ministre de l’intérieur dans une lettre du 19 novembre :

« Aujourd’hui, écrit-il, le prix commun du blé se monte à 37 livres. »

C’était, sur les prix de la période de dix ans qui précéda la Révolution, une hausse énorme.

« Depuis 1776 jusqu’à 1788, précise Roland, c’est-à-dire dans l’espace d’environ douze ans. le prix des grains n’a presque pas varié, et il s’est maintenu au prix commun de 22 livres le setier de 240 livres poids du marc. »

Maintenant donc c’est presque le double, et dans le Midi, c’est le triple. Fabre de l’Hérault, sans préciser les chiffres, dit le 3 novembre, au nom du Comité d’agriculture :

« Partout les prix éprouvent un surhaussement qui doit inspirer des craintes. »

Creuzé-Latouche, « au nom de la section des subsistances », constate, dans un rapport substantiel du 8 décembre, qu’il y a de région à région des inégalités extraordinaires, mais que partout un terrible mouvement de hausse a porté les prix à un niveau que, dans le siècle, le peuple n’avait pas connu.

« Voyez le tableau du prix du blé en France depuis 1756 jusqu’en 1790. Ces prix sont les prix moyens de chaque année, réduits sur le setier de Paris, qui pèse 240 livres poids de marc.

« Depuis 1756 jusqu’en 1766, le prix du blé a été de 14 à 18 livres. En 1766, le prix du blé a été de 20 livres ; il a encore monté rapidement dans les