Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/305

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Convention les craintes que je conçois sur le produit de la récolte prochaine ; on me mande de plusieurs départements que les semailles des blés d’hiver ont été contrariées par une infinité d’inconvénients. Le séjour des troupes ennemies, d’une part, dans nos département du Nord, d’autre part, le manque de bras, la disposition des chevaux pour les convois militaires, les pluies presque continuelles de l’automne, sont cause que le quart des terres n’est pas ensemencé. À cette circonstance si l’on joint les événements politiques qui peuvent contrarier nos achats de blé de l’étranger, on peut avoir quelques inquiétudes sur nos subsistances de l’année prochaine. »

Et Barbaroux allait jusqu’à chiffrer, à la tribune même de la Convention, le déficit qui résulterait dans les récoltes du déficit des bras (8 décembre) :

« Un laboureur, en réduisant les travaux et les productions à un terme moyen, cultive 20 arpents de terre et peut leur faire produire 60 setiers de blé au delà de la semence, de manière qu’il donne à la République 17 410 livres de pain.

« Or, en fixant la population de la République à 25 ou 26 millions d’habitants, il en résulte qu’il faut le travail de 7 500 laboureurs pour produire la subsistance d’un jour de tous les individus de l’Empire, et que par conséquent nous avons indispensablement besoin de 2 800 000 agriculteurs pour nous assurer les subsistances d’une année. Un événement qui nous enlèverait 100 000 agriculteurs nous exposerait à treize jours et demi de disette.

« Or je fixe à 300 000 le nombre de ceux que la guerre a enlevés aux campagnes, et certes, mon calcul ne vous paraîtra point exagéré, si vous considérez qu’indépendamment du nombre des agriculteurs enrôlés dans nos armées, les volontaires des compagnies franches, les sapeurs ou mineurs, les guides et les conducteurs de chariots, sont presque tous des hommes de la campagne. Il y aura donc, l’année prochaine, par la seule diminution du nombre des cultivateurs, un déficit de quarante jours et demi dans la masse de nos subsistances.

« J’évalue à un déficit égal celui qui résultera de la diminution du nombre des bœufs livrés à la consommation des armées, des mulets employés à leur service et des chevaux qui partout ont été pris pour remonter nos cavaliers ou pour former de nouveaux corps de cavalerie. C’est donc un déficit de quatre-vingt-un jours dans les subsistances. »

A lire ces calculs un peu présomptueux de Barbaroux il semble que l’activité productrice d’un pays soit une quantité fixe, une force rigide et inextensible. Il n’en est rien, et nous pressentons déjà l’effort héroïque, le magnifique labeur par lequel la France révolutionnaire, sous la discipline de la Convention, comblera ces vides du travail. Les femmes suppléeront les hommes absents ; les enfants se hausseront au-dessus de leur âge et les bêtes mêmes, plus ardemment aiguillonnées, hâteront la marche profonde des charrues. Nous pressentons aussi, à la précision des chiffres et des résultats