Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/308

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peuple tout entier, et comment les ouvriers des fermes n’auraient-ils pas demandé du pain de froment ? Ainsi, au moment où bien des symptômes faisaient craindre qu’en 1793 il y eût un déficit dans la récolte, croissait la demande du blé. Et cela encore ajoutait à la tendance de hausse. D’ailleurs pour les besoins pressants et vastes d’une grande armée, les achats étaient faits par grosses masses ; ils rompaient ainsi, en plus d’une région, l’équilibre des ressources et des besoins. Roland se plaint que les achats soient faits souvent aux lieux mêmes où il y avait insuffisance de récolte. Entre l’administration de l’intérieur et le ministère de la guerre où Pache avait remplacé Servan, il n’y avait point d’entente ; et leur action discordante aggravait la crise. Au ministère de la guerre, aucune tradition forte et claire n’avait eu encore le temps de se constituer. Le service des subsistances y fonctionnait mal, sans vue d’ensemble et sans unité. Des explications contradictoires de d’Espagnac et d’Hassenfratz devant le Club des Jacobins dans les séances de novembre et décembre 1792 ce qui résulte c’est l’état de désordre des administrations de subsistances :

« Le ministre de la guerre avait une administration des vivres, le ministre de la marine avait aussi une administration des vivres, et le ministre Roland avait aussi son administration particulière. »

La forte centralisation de combat que la Révolution instituera bientôt dans le service des subsistances n’existait pas encore et il y avait « dans les achats, comme dit Hassenfratz, une concurrence nuisible à la chose publique ». Dans cet état d’exaspération, de discordance et de hâte fébrile, les grands fournisseurs peu consciencieux avaient beau jeu. Sous prétexte de fournir vite, ils haussaient démesurément leurs prix, et ils donnaient ainsi une sorte de signal général de hausse. Le journal de Prudhomme numéro du 24 novembre au 1er décembre) a bien marqué ce brusque pullulement de spéculations suspectes. Dans la guerre qui suivit le 10 août, « il fallut faire sortir à la fois de terre et des hommes et des vivres ; le péril était imminent, il ne s’agissait pas de marchander en pareil cas. Belle occasion pour tous les accapareurs ! Eux seuls étaient nantis de tout ; ils s’offrirent ; on se crut trop heureux de les avoir ; on passa par toutes les conditions qu’ils voulurent imposer. Sans parler d’une foule de marchés frauduleux qu’on découvre tous les jours, ceux de ces messieurs qui faisaient le plus honnêtement leur métier eurent soin de demander presque le double du prix courant, et déjà cependant trop haut ; le commerce éprouva une commotion subite. Ce renchérissement s’étendit bientôt à tout, et le pauvre, l’honnête citoyen se vit presque dans l’impossibilité d’acheter sa subsistance. »

Tous les spéculateurs de la fin de l’ancien régime, Beaumarchais, d’Espagnac, reparaissent pour des besognes louches. Les Juifs émancipés par l’Assemblée Constituante fournissent aussi leur contingent de spéculation.

Jacob Benjamin abuse de la hâte ou de la légèreté de Montesquiou pour