Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/320

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Avec de tels prix, ou même avec le prix beaucoup plus général de 4 et 5 sols la livre de pain, tout le système économique aurait éclaté si les salaires n’avaient pas suivi une progression à peu près égale. Qu’on se représente en effet que beaucoup de salariés ne gagnaient même pas 20 sous, et que, par conséquent la consommation de pain d’une seule personne absorbait les trois quarts ou les deux tiers, ou tout au moins la moitié du salaire accoutumé. Or, ces hauts prix du blé et du pain durèrent plusieurs mois. On peut donc être certain, a priori, qu’il y eut un grand effort des salariés pour accroître le prix de la journée de travail, et un vaste mouvement des salaires. Il y eut nécessairement à cette date une des plus profondes et des plus générales agitations en vue d’un meilleur salaire, qu’enregistre l’histoire de la classe ouvrière. Il y eut nécessairement aussi, au moins dans le taux nominal des salaires, une des plus brusques progressions qui se soient jamais produites.

Je le répète, c’était pour le peuple une nécessité vitale d’un tel ordre qu’on peut être assuré d’avance qu’il demanda et obtint un grand relèvement du prix des journées.

Pour subir purement et simplement une telle hausse du blé et du pain et ne pas chercher un salaire compensateur, il aurait fallu que le peuple ouvrier et paysan fût tombé à ce degré de servitude léthargique où l’aiguillon même de la faim n’est plus ressenti. Or le peuple n’avait jamais été plus vivant, plus ardent et plus fier. Et c’est sans surprise que je note les affirmations précises et non démenties qui établissent le grand mouvement des salaires. C’est la caractéristique sociale de cette période. Féraud, qui combat, il est vrai, tout système de taxation et de réglementation des blés, dit, le 16 novembre :

« Si le prix du grain s’est accru, les salaires se sont accrus également ; et toutes choses bien compensées, c’est-à-dire la hausse des grains mise en balance avec l’augmentation des salaires, on verra que les différences ne sont sensibles que pour les propriétaires, et point du tout pour le consommateur salarié qui nous occupe tout particulièrement dans cet instant. »

Sans doute, l’affirmation de Féraud était trop générale, il donnait comme un fait universellement accompli ce qui n’était qu’un résultat partiel et une tendance générale. Beffroy et Isoré tiennent un autre langage ; mais qu’on étudie de près leurs paroles. Beffroy dit :

« Lorsque des cultivateurs avides, profilant du prétexte ou de la dévastation partielle d’un canton voisin, ou du défaut de bras, quand des milliers de citoyens offrent les leurs, qui ne sont refusés que parce qu’on ne veut point proportionner les salaires au prix de la denrée, lorsque enfin, sous le prétexte du haut prix de leurs fermages, ces hommes cupides se coalisent pour porter le blé à un taux fort supérieur à la faculté des ouvriers, alors le prix des salaires ne se trouvant plus en proportion avec le prix des comestibles, le