Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/336

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la Commune de Paris) ; les uns ont conseillé les administrateurs de s’emparer du domaine national pour leur usage. » Mais ces rumeurs ne sont-elles pas calomnieuses ? Duroy ajoute : « J’ai chez moi un procès-verbal qui constate que Momoro et Dufour, envoyés dans les départements de l’Eure et du Loir-et-Cher, ont voulu forcer des citoyens pauvres à s’emparer d’un château d’émigré ; j’ai même devers moi un écrit par lequel Momoro demandait la loi agraire ». Vraiment Duroy retarde et il retrace une histoire déjà vieille. Il s’agit évidemment des fameux propos que Momoro tint dans l’Eure peu après le Dix Août et de ses articles additionnels aux Droits de l’Homme.

Puisque les ennemis de la Commune de Paris étaient obligés de se référer à ces documents déjà anciens, il est permis de croire que les émissaires de la Commune, qui se sentaient maintenant très surveillés, s’abstenaient d’orienter visiblement vers la loi agraire le mouvement de protestation des prolétaires. Après tout, les plus habiles d’entre eux devaient bien comprendre qu’ils se briseraient à menacer et à attaquer de front le droit de propriété, mais qu’ils pouvaient peu à peu en réduire le contenu au profit du peuple et en resserrer la substance. Déjà, la taxation générale des denrées par la loi, émanée du peuple, n’était-elle point une première mainmise des prolétaires maîtres de l’État sur la réalité même du droit de propriété ? Je ne vois pas de brochure de Momoro à cette date précise ; mais j’en trouve une de lui, en avril 1793, où la loi agraire est ainsi comme atténuée en taxation et où sa fameuse formule sur les propriétés territoriales prend un sens un peu adouci : « Opinion de Momoro, administrateur et membre du Directoire du département de Paris, sur la fixation du maximum du prix des grains dans l’universalité de la République française, imprimée par ordre des comités d’agriculture et de commerce de la Convention nationale ». Voyez avec quelle prudence il s’avance.

« Première proposition : Viole-t-on la propriété par la fixation du maximum du prix des grains ? Pour répondre d’une manière claire et entraînante, il faut ici définir ce que l’on doit entendre par propriété. La propriété proprement dite, et dans le sens qu’on lui donne, est le droit d’user de la chose ainsi qu’on l’entend.

Un individu peut, sur le terrain qui lui appartient, bâtir une maison et la renverser le lendemain, parce que c’est sa propriété, et qu’il a le droit, sous la sauvegarde des lois, d’en user et d’en abuser (sans nuire toutefois à la société par ces abus).

Ce même droit appartient-il au cultivateur sur la production que la terre accorde à ses sueurs ?

« Non, sans doute.

« Et pourquoi ? C’est que ces productions sont destinées à la subsistance de la société, moyennant l’indemnité juste et préalable qui doit en être le prix. Cette indemnité, juste et préalable, doit être en rapport proportionnel