Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/340

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« Messieurs, vous allez procéder à l’élection de nouveaux représentants : mais où sont vos frères ?

« Quand l’univers retentit du sublime arrêté du 17 juin 1789, dans lequel l’Assemblée nationale reconnaît qu’à cette époque elle était déjà composée des représentants envoyés directement par les quatre-vingt-seize centièmes de la nation ;

« Quand, le 4 août, cette masse de députations, accrue, complétée par les quatre autres centièmes, détruisit le régime féodal, abolit les privilèges et décréta que les citoyens, sans distinction de naissance, pouvaient être admis à tous les emplois ecclésiastiques, civils et militaires, et que nulle profession n’emportait dérogeance ;

« Quand les représentants du peuple français déclarèrent que tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, que le but de toutes les associations politiques est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme ; que l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance des mêmes droits, que ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi qui est l’expression de la volonté générale ; que tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par représentants à sa formation ; qu’émanant de tous, elle doit être la même pour tous, et que tous étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes les places, emplois et dignités selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ;

« Enfin, quand ils reconnurent et déclarèrent que le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation, et que nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément, on ne dut pas s’attendre qu’ils tourneraient leur activité contre eux-mêmes ; que retranchant une grande masse du souverain, divisant la nation, ils se réduiraient à n’en représenter que la moindre partie ; que le pouvoir qui leur était conféré leur servirait à ôter à leurs commettants le droit de les commettre, et à les transformer en esclaves ou citoyens passifs, ce qui est la même chose.

« N’était-ce donc pas assez de restreindre la souveraineté de la nation au simple voter pour ses représentants ? Fallait-il encore nous faire l’outrage de nous exclure des assemblées primaires, sous prétexte de notre laborieuse pauvreté dans laquelle vous puisez vos richesses ? Si par pauvreté notre entendement reste inculte, au point qu’on nous croie incapables de délibérer nous-mêmes sur ce qui nous convient, si par la nature de nos besoins nous sommes dans l’impossibilité de vaquer à la chose publique, dans laquelle nous sommes les plus intéressés vu que nous y mettons nos facultés personnelles, le droit de se faire représenter est notre unique ressource, l’unique garantie de nos intérêts, et c’est de ce droit-là qu’une politique perfide et cruelle a suggéré à nos députés de nous frustrer. »