Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/366

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comme une fantaisie délirante, prononce une parole énigmatique et qui peut mener loin :

« Proportionnez, dit-il, les salaires journaliers là où le juste et nécessaire équilibre n’existe pas. » Mais comment la Convention peut-elle ainsi proportionner le salaire au prix des journées ? Si c’est par un simple conseil, ce n’est qu’un mot. Si c’est par l’action directe et la pression des salariés eux-mêmes, leurs efforts peuvent être perpétuellement déconcertés par la variation des assignats et la variation correspondante des denrées. Et si c’est par la loi que la Convention rétablit cet équilibre « nécessaire », la voilà engagée, de proche en proche, dans l’universelle taxation.

On peut donc pressentir dès maintenant que, si la crise se développe, la Convention sera conduite, par tous les chemins, et malgré ses propres résistances, aux mesures mêmes qu’à cette fin de 1792 elle juge tout à fait dangereuses, à la fixation générale des prix.

Le député de la Vendée, Fayan, sans aller jusque-là, affirma, beaucoup plus nettement que Beffroy, l’idée du service public. Et c’est au nom des prolétaires, des sans-propriété qu’il demanda avec force une institution nationale d’approvisionnement.

« Je fixerai particulièrement votre attention sur cette classe indigente et nombreuse qui ne fait pas de récoltes ; je ménagerai l’intérêt des propriétaires, mais j’anéantirai ces gros négociants en blé, ces vils agioteurs qui, sous le spécieux prétexte de transporter l’abondance, affament tous les lieux ou font payer bien cher aux citoyens les premiers besoins de la vie. Ils calculent jusqu’à l’heure, au moment même, où le pauvre doit avoir faim. Dans une République cette espèce de marchands doit disparaître. Détruisez donc, législateurs, ces hommes avides qui vendraient aussi l’air que leurs semblables respirent s’ils pouvaient aussi l’accaparer. (Applaudissements.)

« Je n’entrerai point, quant à présent, dans le détail des avantages qu’offre le sublime projet d’établissement des greniers publics. La nécessité en est sentie par tous ceux qui travaillent de bonne foi à soulager la misère. Ce projet aura donc lieu ; mais en attendant qu’il s’accomplisse, vous devez prendre des mesures pour que chaque individu trouve à son domicile, sinon tout ce qui lui est nécessaire, au moins ses premiers besoins. Législateurs, les hommes créés par le peuple pour défendre ses droits durent l’être particulièrement pour pourvoir à ses besoins comme pères de la grande famille. Ce ne sont donc pas les négociants en blés, mais bien les municipalités, mais les districts, mais les départements, mais vous-mêmes, législateurs, qui devez être les pourvoyeurs des Français. »

La Convention hésitante demanda aux partisans de la liberté du commerce et à ceux de la réglementation, de résumer leurs raisons dans deux rapports contradictoires. J’ai trop marqué déjà les conceptions et les tendances pour qu’il soit nécessaire de les analyser. Je retiens seulement l’insistance avec