Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/387

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À l’Assemblée constituante il souffrit de n’être pas au premier plan : « On ne peut pas me reprocher d’avoir porté envie à la gloire que mes collègues des communes se sont acquise dans cette assemblée. Si j’avais eu la volonté de mériter une réputation brillante, je n’avais qu’à suivre la marche facile et simple que je m’étais ouverte à Versailles dans les premiers jours de la Révolution française : cependant je me condamnai promptement au silence, il est inutile d’en expliquer ici la raison. »

Je ne sais point le sens de ces paroles mystérieuses. Buzot qui dès la Constituante connaissait Mme  Roland en fut-il dès lors amoureux ? Souffrit-il dans son amour de la place plus grande que Lanthenas et Bancal paraissaient tenir alors dans le cœur de la femme aimée ? Mais il lui resta de ce silence, de cette inaction prolongée, de cette rechute dans l’obscurité après quelques heures d’éclat, l’amertume secrète des hommes qui croient n’avoir pas rempli leur destinée et donné leur mesure. Il arrivait donc à la Convention avec un cœur impatient et troublé, qui devait pour ainsi dire, déformer toutes choses. À peine retrouva-t-il Mme  Roland, à peine conçut-il sans doute je ne sais quel espoir d’en être aimé, son inquiétude d’amour et son inquiétude de gloire se confondirent. À servir les haines et les passions de Mme  Roland, il soulageait l’orgueil amer de son propre cœur et il entrait dans les sympathies de la femme aimée. Mais quelle âpreté soudaine ! quel langage provocateur ! quel étalage du moi !

« Il faut que nous connaissions au vrai la situation de Paris, et lorsque mes frères vont sur les frontières défendre la patrie, il faut que je sache quel est le terrain mobile sur lequel je suis ; il faut qu’un comité vous propose une loi contre ces hommes infâmes qui, par des haines et des vengeances particulières, pourraient me poignarder, moi, en trompant ce même peuple dont ma voix doit être écoutée, car je suis le même qu’en 1791. »

Toute la Gironde a, dès lors, l’hallucination du poignard. Tandis que le jeune Le Bas, avec son esprit calme et son âme sobre, constate que Paris est tranquille, Buzot perdant tout sang-froid se crée à lui-même, avec une violence où je sens le factice et le parti pris, des fantômes d’horreur et de terreur. Il dit dans ses Mémoires :

« Je cédai donc, je partis pour la Convention ; mais je délibérai bientôt si je ne reprendrais pas le chemin de mon paisible ermitage, tant j’éprouvai d’horreur au spectacle hideux de la ville de Paris et de la Convention. »

Quels étaient donc ces spectacles hideux ? Il n’y a, en tout cela, que la rhétorique violente d’une âme faible, qui s’est obstinée par système dans ses propres terreurs, pour pouvoir mépriser et condamner. Et c’est sur des impressions aussi démesurées et aussi vagues que Buzot, reprenant la pensée de Roland, demande la création d’une garde des départements chargée de protéger la Convention.

« Je reviens maintenant au véritable état de la question. On a beau