Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/393

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non en levant sur moi le glaive de la tyrannie, qu’ils devaient en détruire la funeste influence.

« Mes opinions, d’ailleurs, sur le triumvirat et le tribunal sont consignées dans des écrits signés de moi, imprimés et colportés publiquement depuis près de trois ans, et c’est aujourd’hui qu’on entreprend de les métamorphoser en crimes de lèse-nation. Pourquoi avoir tant attendu ? »

Et il revendiqua la responsabilité des journées de septembre :

« Et puis, que me reprochez-vous ?

« Au milieu des machinations, des trahisons dont la patrie était sans cesse environnée, à la vue des complots atroces d’une Cour perfide, à la vue des menées secrètes des traîtres renfermés dans le sein de l’Assemblée constitutive, enfin à la vue des suppôts du despotisme qui siégeaient dans l’Assemblée législative, me ferez-vous un crime d’avoir proposé le seul moyen que je crusse propre à nous retenir au bord de l’abîme entrouvert ? Lorsque les autorités constituées ne servaient plus qu’à enchaîner la liberté, qu’à égorger les patriotes sous le nom de la loi, me ferez-vous un crime d’avoir provoqué sur la tête des traîtres la hache vengeresse du peuple ? Non, si vous me l’imputiez à crime, le peuple vous démentirait ; car, obéissant à ma voix, il a senti que le moyen que je proposais était le seul pour sauver la patrie ; et, devenu dictateur lui-même, il a su se débarrasser des traîtres. »

Ainsi il assume les massacres de septembre, sûr que sa responsabilité se confondra dans celle du peuple lui-même. Et là éclate l’extraordinaire étourderie de la Gironde. À quoi bon soulever de tels débats et formuler de telles accusations quand on ne peut aller jusqu’au bout ? Or la Gironde ne pouvait pas aller jusqu’au bout. Elle ne pouvait pas nettement, directement, mettre en cause les exécutions de septembre parce qu’elle craignait d’être conduite par la chaîne révolutionnaire des événements jusqu’au Dix-Août. Vergniaud lui-même, quand il répond à Marat, quand il lit la terrible circulaire envoyée par le Comité de salut public de la Commune, s’efforce de distinguer les autorités qui n’auraient pas dû conseiller le massacre, et le peuple qu’on ne saurait accuser pour l’avoir accompli.

« Que le peuple, dit-il, lassé d’une suite de trahisons, se soit enfin levé, qu’il ait tiré de ses ennemis connus une vengeance éclatante, je ne vois là qu’une résistance à l’oppression. Et s’il se livre à quelques excès qui outrepassent les bornes de la justice, je n’y vois que le crime de ceux qui les ont provoqués par leurs trahisons.

« Mais que des hommes revêtus d’un pouvoir public, qui, par la nature même des fonctions qu’ils ont acceptées, se sont chargés de parler au peuple le langage de la loi et de le contenir dans les bornes de la justice par tout l’ascendant de la raison ; que ces hommes prêchent le meurtre, qu’ils en fassent l’apologie, il me semble que c’est là un degré de perversité qui ne saurait se concevoir. »