Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/403

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caution expresse contre elle, le glaive de la France tourné contre le cœur de la France ! C’était le délire de la provocation.

L’émoi de la Convention fut vif, et l’agitation extrême. Pour beaucoup de députés le voile se déchira soudain et ils virent où on les menait. Après avoir défié et menacé Paris, Buzot défie et menace les Jacobins. Il crie à ceux qui murmurent et l’interrompent : « Si quelques citoyens, membres d’une société autrefois célèbre par son amour de la liberté, si ces citoyens ont osé dire dans cette société que les 82 départements ne pouvaient envoyer pour garder leurs représentants que des hommes qui ne sont point élevés encore à la hauteur de l’esprit public qui règne à Paris, je dirai, moi, que les départements enverront des hommes soumis à la loi, des hommes dont le patriotisme consiste à chérir et défendre jusqu’à la mort la liberté de leur pays. »

Mais on dirait que Buzot a lui-même le sentiment qu’il force les couleurs, qu’il dramatise à l’excès les événements. Sans doute il devait se demander tout bas, lui qui avait constaté naguère dans l’Eure à quel point les divisions du parti révolutionnaire y étaient inconnues, si son attitude soudain violente et agressive y était comprise. Et il éprouvait le besoin de se couvrir de l’opinion de ses commettants, sans doute sollicitée par lui. « Que les anarchistes ambitieux sachent bien, s’écrie-t-il, que déjà cette garde se lève dans nos départements, qu’ils sachent que notre vœu a été prévenu et qu’il sera rempli, et j’annonce déjà que mon département m’a déclaré que ce que j’ai fait est bien et conforme aux principes. »

Sans doute, et comment les commettants de Buzot, habitués à mettre en lui leur confiance, la lui auraient-ils soudain retirée ? Mais à coup sûr un étonnement douloureux et une croissante inquiétude les pénétraient : Que se passe-t-il donc à Paris ? Ils refuseront bientôt de s’associer à cette politique furieuse. Et comme on comprend que, le soir de ce jour, Couthon, aux Jacobins, ait retiré son adhésion première au projet de garde gouvernementale dont Buzot venait de livrer, avec une sorte d’exaspération maladive, le véritable sens ! Il mettait dans une situation terriblement compromettante ceux de ses amis qui essayaient encore de présenter comme un gage d’amitié envers Paris l’appel fait aux départements.

Le 9 octobre encore le journal de Brissot écrivait : « On avait cherché à alarmer les citoyens de Paris sur cette mesure. Buzot a prouvé qu’elle était hautement réclamée par l’intérêt de cette ville. Paris ne subsiste que par l’unité et l’indivisibilité de la République, que par son union intime avec les départements ; c’est là qu’est le secret de sa population et de ses richesses. Or, la mesure proposée, outre qu’elle est une garantie de l’indivisibilité de l’Empire, multiplie et resserre les rapports des Parisiens avec le reste des Français. » C’est ainsi que Brissot résumait la pensée de Buzot : « union intime de Paris et de la France. » Et trois jours après, le même Buzot dénonçait et menaçait Paris au nom de la France. Ainsi se révélait aux observateurs les