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Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/414

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C’était d’un sens politique très pénétrant. L’homme qui sait parler ainsi d’une Assemblée où il était couvert d’outrages, témoigne d’une singulière possession de soi et d’une confiance tranquille en l’avenir. Marat était convaincu (et les propos de Buzot, les écrits qu’il a laissés justifient parfaitement cette conviction) qu’au moindre prétexte, les Girondins demanderaient à la Convention de quitter Paris ; décision funeste qui aurait perdu à la fois la Révolution et la patrie. Et c’est pour échapper à ce péril, que Marat supplie Paris d’être calme et de toujours respecter la loi. Il écrit le 14 octobre :

« La cabale, poussée dans ses derniers retranchements est réduite à répandre l’alarme par le projet désastreux d’environner la Convention d’une force armée, d’une garde prétorienne suivant l’usage des tyrans, pour exciter des troubles dans Paris, accuser ses paisibles habitants des désordres occasionnés par les factieux conjurés avec elle, causer des inquiétudes aux députés purs, mais faibles, sur leur sûreté personnelle, crier au bouleversement de l’État, soulever les départements contre Paris : se ménager à eux-mêmes un prétexte de fuir ses murs, et d’entraîner la Convention nationale dans leur fuite. Événement fatal qu’ils ne cessent de provoquer pour fonder la république fédérative : événement désastreux que les Parisiens préviendront par leur modération, leur retenue, leur sagesse ; c’est l’Ami du peuple, toujours dépeint par les traîtres comme un boute-feu qui les y incite au nom du salut public. Encore quelques jours, et la clique infernale sera complètement démasquée ; bientôt la Convention nationale ouvrira les yeux, et c’est alors seulement qu’elle pourra travailler à sauver la république. »

Marat est si préoccupé, à ce moment, d’éviter toute agitation qu’il écrit le 8 octobre :

« La pétition des ouvriers du camp de Paris qui réclamaient contre la taxe proportionnelle à leur force et à leur activité (ils demandaient le remplacement du travail à la tâche par le salaire fixe à la journée) a certainement été rédigée par des boute-feux qui sous prétexte d’établir l’égalité travaillaient à semer la division dans le camp et à tout bouleverser. »

Il semble qu’à son étroite clairvoyance habituelle se joigne un sens nouveau et large des responsabilités. Il manœuvre avec précaution et sang-froid. Il a jugé ses adversaires ; il sent qu’ils sont véhéments mais inconstants et frivoles, qu’il faut les surveiller de près, mais qu’ils s’useront d’eux-mêmes en peu de temps à condition qu’on ne leur donne pas prise.

« Voilà donc Roland tenant dans ses mains tous les ressorts de l’autorité au dedans et toutes les forces nationales dont il n’est encore malheureusement que trop facile d’abuser. Je sais bien que c’est trop faire d’honneur à Roland que de lui prêter des vues aussi élevées ; mais le bonhomme a des faiseur pleins d’action, d’intrigue et d’ambition. » (8 octobre.)

Et le 15, découvrant son mépris pour ses adversaires, il écrit :

« J’ai vu avec indignation les sourdes menées employées par la cabale