Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/429

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de la Législative, s’écrie avec fureur et comme s’il maniait un poignard invisible, le poignard que se transmirent dans l’histoire les amants passionnés de la liberté : « Misérable, voilà, voilà l’arrêt de mort des dictateurs ».

Delacroix atteste solennellement la vérité du récit de Louvet : «… En descendant de la tribune, je me retirai dans l’extrémité de la salle du côté gauche, alors Robespierre me dit que si l’Assemblée n’acceptait pas de bonne volonté ce qu’on lui demandait, on saurait le lui faire adopter avec le tocsin. » Et là-dessus, le chœur des imprécations girondines recommence : « Misérable ! Misérable ! »

Et pourtant, Delacroix, en confirmant Louvet, le démentait : Louvet plaçait le propos à la Commission des vingt et un ; Delacroix, dans la salle même des séances, et ce n’était pas une parole publique, officielle, délibérée ; c’était un propos d’homme à homme et dont la lettre et le sens avaient pu être déformés. Effet de séance, mais qui ne devait pas résister à l’examen ! Même en séance d’ailleurs, l’effet fut bientôt neutralisé par la vigueur de Robespierre. Aidé de son frère, il luttait pour rompre le cercle dont ses ennemis gesticulants l’enveloppaient, et pour gravir la tribune. Il protestait violemment contre l’accusation de Louvet. Et déjà la Gironde voulait le transformer en accusé :

« J’observe à la Convention, s’écria un Conventionnel, qu’elle ne peut entendre à la tribune un homme accusé d’un pareil crime ; il faut qu’il descende à la barre. »

Malgré tout, la véhémente protestation de Robespierre éveillait un doute, brisait un peu le courant. Louvet avait dit un mot terrible et perfide : « Vous vengerez la Législative », et les souffrances d’amour-propre exaspéré de tous les députés qui, pour n’avoir pas su prendre à temps l’initiative et la direction de la lutte révolutionnaire contre la royauté, avaient dû subir quelques jours la dictature de l’audacieuse et victorieuse Commune, s’acharnaient en effet à la vengeance. Mais le discours de Louvet n’était qu’un point d’appui fragile, une déclamation vaine et qui tombait dans le vide. Elle trompait l’attente des haines. Sur les journées de septembre, le sophisme était trop criant ; il était impossible de compromettre à fond dans les massacres Robespierre et Danton, et de dégager entièrement la Gironde. Quand Louvet dit que « l’autorité tutélaire de Pétion était enchaînée, que Roland parlait en vain », c’est pure rhétorique de parti ; car le premier jour, ni Pétion ni Roland ne firent un effort visible ; et Louvet était réduit, pour solidariser Robespierre et Marat, à alléguer que le premier avait dans une assemblée électorale soutenu la candidature du second. Le discours de Louvet était donc passé comme un nuage boursouflé, fantastique et vain, gros de menaces mais piètre d’effet. Aussi bien, lui-même donnait un démenti à la violence de ses accusations par l’incertitude de ses conclusions et par leur incohérence :

« Robespierre, je t’accuse d’avoir depuis longtemps calomnié les plus purs,