Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/432

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Ce qu’il aurait fallu bien démontrer, c’est que Robespierre, par des actes précis, avait cherché à supprimer la volonté nationale, à substituer une faction dictatoriale au pouvoir légal de la Convention. Or, c’est Robespierre qui avait demandé la réunion de la Convention. L’accusation de Louvet s’effondrait. Il n’en restait rien de précis, mais un vague procès de tendance qui enveloppait, avec Robespierre, quelques autres, et logiquement le peuple de Paris, le peuple du Dix Août. Non, la Convention ne pouvait se risquer dans cette voie. La Gironde n’avait qu’une chance de l’entraîner ; c’était de l’éblouir, de la fanatiser, et de la lier par des responsabilités immédiates à de nouvelles et plus lourdes responsabilités. Puisque la Gironde n’avait pas consenti à l’ajournement du débat demandé par Danton, il fallait que le soir même et aussitôt après le discours de Louvet, Robespierre fût décrété d’accusation et arrêté.

En ajournant la conclusion après avoir refusé l’ajournement du débat, la Gironde trahissait à la fois sa faiblesse et sa jactance. Se borner à la mise en accusation de Marat pour un discours qui était tourné tout entier contre Robespierre, c’était découvrir ce qu’il y avait de factice dans les colères et les craintes étalées. Et c’était laisser à la froide raison le temps de dissiper les prestiges de passion et de rhétorique du romancier Louvet.

L’effet de la séance fut mauvais pour la Convention et déplorable pour la Gironde. Le journal les Révolutions de Paris, qui affectait l’impartialité, et qui d’ailleurs aimait peu Robespierre et Marat, sans doute parce qu’il n’avait pu exercer sur les assemblées électorales de Paris une action suffisante, traduit assez bien le malaise de l’opinion.

« Hélas ! nous en rougissons pour nos députés. Ils passent le temps à se dénoncer les uns les autres. Des séances prolongées jusque dans la nuit se consument à entendre Louvet accuser Robespierre ; Robespierre dénoncer Brissot et compagnie, Barbaroux dénoncer Marat ; Marat, brochant sur le tout, dénoncer à lui seul tous les généraux, tous les ministres, tous ses collègues à la Convention, à l’exception de Danton qui a l’ingratitude d’abandonner Marat au milieu de la mêlée ; quelle pitié que tout cela !… Louvet, si quelques ambitieux ont fait des tentatives criminelles pour changer le gouvernement, puisque la Convention eut le bon esprit de passer à l’ordre du jour, pourquoi revenir à la charge ? N’y a-t-il pas des juges et des licteurs ? Si Marat, Danton et Robespierre sont les triumvirs de cette dictature dont tu parles, tu n’avais qu’une parole à leur adresser : « Sortez de cette enceinte d’où vos crimes vous repoussent, et suivez-moi devant un tribunal ; je me porte votre accusateur, venez vous défendre. » Tu nous aurais épargné le long historique des débats de la société des Jacobins, le scandale d’une séance conventionnelle tout à fait nulle pour la politique, et la confusion de Robespierre, réduit à demander huit jours pour répondre. Huit jours pour se justifier à l’incorruptible Robespierre ! »