Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/475

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sont pas déjà très heureux ne soient pas accablés par la perte d’une ressource complémentaire, il faudrait procéder à une enquête attentive qui confirmerait ce que depuis longtemps l’expérience nous enseigne : que l’effroyable oppression sous laquelle gémit le paysan, est l’obstacle le plus insurmontable au progrès de toutes les branches de l’industrie. On s’étonne que le mal ne soit pas complètement supprimé, et on ne se sert que de palliatifs. Par suite, toute la nouvelle économie d’État, tout le zèle empressé et essoufflé des employés des finances n’est que pure charlatanerie, ou, ce qui est pire encore, un détestable système d’artifices, par lesquels le sujet, pareil, sous un autre nom, à l’esclave nègre des îles à sucre est abaissé jusqu’à n’être qu’une bête de somme dont l’entretien laisse chaque année quelque excédent. Et si, pour perfectionner la production, on change quoi que ce soit à ce mécanisme tendu à l’excès, aussitôt la comptabilité proteste, et le faiseur de plus value fiscale rejette sur le progrès à peine tenté la responsabilité de toutes les sottises que lui suggère sa tête vide. Partout où les fabriques ne sont pas l’œuvre de la libre activité du citoyen, mais des spéculations financières du gouvernement, on compte beaucoup moins sur la valeur des produits que sur les débouchés artificiellement créés par l’ordre du pouvoir ; et dès lors il est impossible de porter cette industrie au point de perfection où elle aurait pu atteindre. »

À ces liens de routine, de réglementation corporative, de fiscalité monopoleuse, Forster oppose, avec une sorte d’enthousiasme admirable de la raison, le magnifique épanouissement des industries libres. Il faudrait pouvoir citer toute sa dixième lettre sur Aix-la-Chapelle. C’est par la liberté et par l’ampleur croissante des échanges que se réalisera peu à peu l’unité humaine ; et c’est l’idéal des économistes les plus hardis, les plus optimistes, que Forster, d’un esprit si sobre pourtant et si mesuré, se complaît un moment à retracer. Il retombe bien vite à la conscience triste des misères présentes, de l’impuissance où l’Allemagne se débat. Mais quoi ! lorsque je surprends dans les analyses de Mœser, si rétrogrades qu’en soient parfois les tendances, tout le travail de transformation industrielle de l’Allemagne, lorsque je constate avec Forster les progrès hardis réalisés malgré tout par des hommes d’initiative et de liberté, je me demande : D’où vient donc l’impuissance révolutionnaire de l’Allemagne ? Et est-il possible de l’expliquer toute par l’insuffisance du développement économique de la bourgeoisie ? Le recours pur et simple aux thèses du « matérialisme économique » serait ici trop commode. Certes, pour abolir le régime féodal et limiter l’arbitraire princier, il faut une bourgeoisie riche, confiante et active. Et l’essor économique de la bourgeoisie allemande était bien inférieur à celui de la bourgeoisie française. Mais à quel degré de sa croissance économique commence la faculté révolutionnaire d’une classe ? Si débile que fût encore le mouvement de production de l’Allemagne en regard de celui de la France, il se produi-