Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/477

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quants du monde entier. Quand l’Allemagne est en guerre avec la France révolutionnaire, Hambourg continue son négoce avec la France sous le drapeau danois, et approvisionne de blé les cités de la Révolution.

Ailleurs, c’est sous l’action des décrets princiers ou royaux, c’est grâce aux ouvriers étrangers appelés par Frédéric, c’est à l’abri des privilèges et des monopoles que l’industrie commence à se développer. La bourgeoisie allemande ne ressemble que médiocrement à cette bourgeoisie française créancière pour plusieurs milliards du roi de France, incorporée depuis des siècles à une nation unifiée, et assez puissante maintenant par l’effet prolongé des règlements de Colbert pour prétendre à la liberté économique et au pouvoir politique. Les observations de Mirabeau concordent en ce point avec celles de Mœser et M. Biedermann les résume excellemment :

« Cette classe moyenne puissante, intelligente, indépendante par la propriété et la libre activité industrielle qui dans les États modernes est le soutien et le ressort du mouvement politique, n’était représentée en Allemagne au xviiie siècle que par un petit nombre d’éléments isolés et sans influence. La vieille bourgeoisie, fière de sa force propre, ne se rencontrait presque plus dans les villes d’Empire ; elle avait été presque toute déracinée par les désastres de la guerre de Trente ans. La classe d’artisans, de manufacturiers, de commerçants qui l’avait remplacée dans les États monarchiques avait de tout autres fondements de son existence matérielle ; elle dépendait à peu près, directement ou indirectement, de la faveur des princes, des cours, des administrations et des fonctionnaires ; c’est de ce côté qu’elle avait à craindre ou à espérer pour ses entreprises. Une grande partie des artisans vivait de métiers que le luxe des cours multiples, partout répandues, entretenait… Ainsi toutes les classes de producteurs étaient liées au système dominant. »

La bourgeoisie allemande n’était pas assez puissante pour être, comme la bourgeoisie française, son propre débouché ; elle était donc engagée à fond dans l’Allemagne féodale et princière. Tandis qu’en France la concentration de la noblesse riche à Versailles et à Paris avait déshabitué la bourgeoisie des petites et moyennes villes de compter sur la clientèle des nobles, et qu’à Paris même, la multitude des rentiers, des financiers, assurait aux marchands un large débit, dans l’Allemagne morcelée le négoce et la fabrique subissaient les influences de cour. En d’innombrables petits cercles une bourgeoisie débile attendait le mouvement, la vie, des Électeurs, des princes, des évêques, des grands propriétaires fonciers, et ces influences locales étaient souveraines ; la ville était animée au travail ou endormie dans une paresse crapuleuse selon le tempérament, les idées, les intérêts des gouvernants immédiats. Les évêques de Cologne, par exemple, jugeaient plus sage, pour prévenir les mouvements d’un peuple libre, pour amortir les passions nobles et assoupir les consciences, de réduire au minimum l’activité industrielle ; il leur était commode de régner sur une clientèle de mendiants et par elle. De