brisassent les chaînes du servage, qu’elles luttassent pour ôter à des tyrans ignorants le sceptre de la justice, et qu’elles se fissent respecter en formant une hanse guerrière, pour que le commerce et l’industrie pussent fleurir, l’abondance faire appel aux arts de la joie ; pour que l’État honorât l’utile agriculteur, et que dans le bienfaisant tiers état, le vrai créateur de toute notre civilisation, se développât pour l’humanité une prospérité durable. »
C’est donc bien une glorification expresse et délibérée de la puissance bourgeoise, et si discret, si prudent que dût être à ce moment un professeur d’Université allemande, on attend au moins qu’il indique d’un mot que le travail de transformation par lequel cette puissance s’affirme n’est point achevé. Mais non, il semble dire au contraire que la liberté nouvelle a décidément assoupli à son usage toutes les forces du passé, toutes les institutions anciennes, et qu’il n’y a plus qu’à laisser se développer à l’infini les effets réguliers d’une puissance désormais souveraine.
« Jusque dans notre siècle, il est vrai, se sont glissés, des siècles précédents, maints restes de barbarie, enfants du hasard et de la violence, que l’âge de la raison ne devrait pas éterniser.
« Mais avec quelle sagesse l’intelligence de l’homme n’a-t-elle pas su diriger vers une fin utile, même cet héritage barbare de l’antiquité et du moyen âge ! Combien n’a-t-il pas su rendre inoffensif, et souvent même salutaire, ce qu’il ne pouvait encore se décider à détruire ! Sur la base grossière de l’anarchie féodale l’Allemagne a élevé l’édifice de sa liberté politique et ecclésiastique. Le simulacre d’empereur romain qui s’est conservé en deçà des Apennins fait aujourd’hui au monde infiniment plus de bien que son prototype dans l’ancienne Rome ; car il maintient uni par la concorde un utile système d’États, tandis que l’autre comprimait les forces les plus actives de l’humanité dans une servile uniformité. Notre religion même, altérée à un tel point par les infidèles mains qui nous l’ont transmise, qui peut méconnaître en elle l’influence ennoblissante d’une philosophie meilleure ? Nos Leibniz et nos Locke ont aussi bien mérité du dogme et de la morale du christianisme que le pinceau d’un Raphaël et d’un Corrège de l’histoire sainte. »
J’entends bien que Schiller était tenu dans sa chaire d’Iéna à beaucoup de réserve. Et je sais aussi qu’au moment précis où il parlait, en mai 1790, l’heure semblait favorable aux pensées de paix, de lent et tranquille développement. En France même, après la tourmente des premiers mois, une sorte d’équilibre paraissait s’établir entre la tradition royale et la volonté nationale. Il était possible à Schiller d’élargir un horizon d’universelle paix.
« Enfin, nos États, avec quelle intimité, avec quel art ne sont-ils pas liés entre eux ! Combien leur fraternité n’est-elle pas rendue plus durable par la salutaire contrainte de la nécessité, qu’autrefois par les traités les plus solennels ! Maintenant la guerre, toujours armée, veille sur la paix, et l’intérêt propre d’un État l’établit gardien de la prospérité d’un autre. La société poli-