qu’ils ne vivent que pour lui, et que, pour lui assurer tous ces avantages, ils soient prêts à tout moment à s’exposer pour lui à toutes sortes de fatigues et de misère, à la faim et à la soif, au froid et au chaud, à la mutilation de leurs membres et aux formes les plus effroyables de la mort, — l’homme, l’individu qui élèverait une telle prétention sur vingt millions d’hommes, sans se croire tenu à leur rendre en échange des services très grands et équivalents, serait un fou, et ne pourrait signifier ses exigences qu’à des hommes aussi fous que lui, si seulement ils l’écoutaient. »
Déclaration des Droits, ai-je dit ? Mais bien plutôt vague proclamation de principes où à quelques rayons éteints de l’Évangile se mêlent quelques lueurs amorties de Rousseau : car il n’y a vraiment déclaration de droits que quand il y a un système de garanties, toute une organisation destinée en effet à assurer le droit. De même, à quoi peut servir, dans l’utopique description du pays de Scheschian, ces fortes paroles sur la misère ?
« Dans la plupart des autres États, l’indigence, la nourriture malsaine, le manque de soins universel dont pâtissent les corps et les âmes concourent à faire des enfants des journaliers et de la classe inférieure des artisans, des créatures qui ne se distinguent du plus stupide bétail que par quelque vague et imparfaite ressemblance avec la forme humaine. »
Oui, mais Wieland propose-t-il une réforme sérieuse de la Constitution et des lois ? Demande-t-il, par exemple, comme à la même date le faisait en France Boncerf, le rachat des droits féodaux et des servitudes féodales ? Non : il esquisse un plan assez chimérique d’éducation publique où les enfants, rassemblés sous la discipline du prince, travailleraient de bonne heure, apprendraient un métier et seraient dirigés de là ou vers la demeure des grands et des riches, chez qui ils entreraient en service, ou vers les fabriques : une sorte d’ouvroir national avec placement assuré. Quel projet puéril, quand il s’agissait de créer tout le mouvement d’une société nouvelle et de briser d’innombrables chaînes !
Justus Mœser est bien plus dans le vif de la réalité quand il étudie les moyens pratiques de transformer le régime du servage. Les lettres qu’il a écrites sur cet objet restent comme un document très curieux sur le lent et presque insensible mouvement social qui s’accomplissait alors en Allemagne. Mais ici aussi quelle timidité ! Quelle marche incertaine et oblique ! Aucune idée du droit. Pas un moment Mœser ne songe ou ne se risque à dire que le servage, qui livrait vraiment toute une famille à la discrétion d’un maître, qui interdisait à de malheureux paysans de posséder et qui, à leur mort, confisquait leur épargne au profil du seigneur, supprimait toute dignité humaine. Au contraire, Mœser conçoit la société humaine comme une association d’intérêts entre les propriétaires du sol. C’est une société par actions où l’action est territoriale, et chacun doit exercer une part de souveraineté et de droit proportionnée à son apport. Ceux qui n’ont pas une action sont hors du