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Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/504

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violemment la nature. Et quand la Révolution française éclate, quand elle abolit toute servitude personnelle et proclame les Droits de l’homme, Mœser ne la glorifie point pour cette œuvre d’émancipation humaine. Il lui cherche querelle, au contraire, et il prétend que les Droits de l’homme sont une chimère ou une violation du droit. Il n’y a pas, selon lui, un contrat social universel donnant à tous les membres de la société un droit égal à en déterminer la forme et les conditions. Il y a un contrat social premier, formé entre eux par les occupants et possédants du sol, et tous ceux qui surviennent ne peuvent conclure avec ces premiers contractants qu’un contrat secondaire. Ils ne sont admis à la cité que sous la condition de respecter le droit et la primauté de la cité elle-même, fondée sur la propriété territoriale. Hors de là, il n’y a que le communisme, et les Droits de l’homme ne peuvent être que l’universel partage de la propriété.

La Constitution ne peut être réformée que par la volonté des premiers contractants. Ils sont seuls les actionnaires de l’entreprise sociale. Tant qu’une terre est vacante, le droit de l’homme a un sens : c’est le droit égal pour tout homme de l’occuper et de défendre ensuite contre tous ce qu’il en a saisi. Mais, quand le sol est approprié, il n’y a de droit que celui des propriétaires du sol.

Voilà la théorie que, même sous la lumière de la Révolution française, formulait un des esprits libres de l’Allemagne. C’est bien l’indice d’un pays où la bourgeoisie industrielle n’a qu’une très faible conscience d’elle-même, de sa force et de son droit.

Mœser triomphait, il est vrai, ou semblait triompher dans la controverse, lorsqu’il constatait que la Révolution française elle-même, par la distinction des citoyens actifs et des citoyens passifs, subordonnait le droit de l’humanité proclamé par elle au droit de la propriété. Mais, d’abord, de quel droit confondre un moment de la Révolution avec la Révolution elle-même ? Et surtout comment faire argument contre les Droits de l’homme de l’inconséquence de ceux qui, en les proclamant, ne les réalisaient point tout à fait ? Mais, même sous cette forme limitée et trop exclusive, c’était déjà un immense progrès d’humanité d’abolir la féodalité comme le servage, d’ouvrir à tout homme l’activité infinie, et d’admettre au partage de la souveraineté politique, avec les propriétaires fonciers, toute la bourgeoisie et toute la classe des artisans un peu aisés.

Il fallait que l’Allemagne fût livrée à une prodigieuse langueur politique et sociale pour que Mœser osât aux premières mesures libératrices prises par la Révolution française opposer une conception surannée du droit exclusif et absolu de la propriété territoriale, sous toutes ses formes féodales aussi bien que modernes.

Ce n’est pas non plus un mouvement politique et social qu’impriment à l’Allemagne ses pédagogues et éducateurs. Il en est de médiocres, comme