Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/539

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faciliter, à préparer cette communauté de pensée, cette mutuelle reconnaissance des esprits allemands ? Une partie de l’Allemagne avait grandement distancé l’autre : celle-ci s’efforce maintenant de rejoindre la première ; et nous serons bientôt en état de trouver une commune mesure. Tout honnête homme doit s’y efforcer, et aussi les princes. La différence de religion ne fait rien : car dans toutes les religions de l’Allemagne il y a des hommes éclairés et bons. La différence des dialectes, des pays de bière et des pays de vin, n’est pas non plus ce qui nous tient séparés les uns des autres ; c’était le pitoyable particularisme des intérêts d’États : plus de pensée et de culture d’un côté, plus de force matérielle et de richesse de l’autre, voilà ce qui nous divise : et cela, j’imagine, la force, souveraine du temps peut en avoir raison.

« Car, dites-moi, qu’est-ce qui nous empêche, nous Allemands, de nous considérer tous ensemble comme des collaborateurs à une œuvre commune d’humanité, de nous respecter et de nous aider ? N’avons-nous pas tous un même langage ? un instinct commun ? une même raison ? un même cœur humain ? On n’a jamais pu barrer la voie à la philosophie et à la critique ; elles travaillent toujours ; elles sont les mêmes dans toutes les têtes bien faites, et leurs règles sont universelles. Gloire et reconnaissance à tous ceux qui cherchent à réaliser la communauté des pays allemands par les écrits, par l’industrie, par les institutions de tout ordre ; ils rendent possible l’action commune et la mutuelle reconnaissance des forces les plus diverses ; ils lient les provinces de l’Allemagne par des liens spirituels, les plus puissants de tous.

« Qu’il nous manque une capitale, cela ne fait rien à l’affaire. Par là la formation du goût peut être entravée. Mais aussi le goût peut aussi bien être corrompu et enchaîné par la capitale qu’il en est d’abord favorisé. Les vues droites, les pensées tranquilles et fortes, les entreprises vigoureuses, le sentiment profond des réalités familières qui nous procurent la paix, tout cela n’appartient point aux capitales : c’est à l’air libre que toutes les forces saines ont tout leur jeu. Plus il y a de messagers allègres de la science et de la pensée, partout répandus dans le pays, plus est rapide la communication des sentiments et des découvertes ; et aucun prince, aucun roi ne cherchera à gêner les communications, s’il ne perd pas de vue les avantages infinis de l’industrie, de l’esprit, de la culture…

« Ce n’est pas seulement par la raison que je voudrais que se réalisât l’unité allemande, mais plus encore par le caractère, par l’esprit de résolution et d’entreprise. Nous savons tous que dès longtemps les Allemands ont plus fait qu’ils n’ont fait parler d’eux. En chaque province de l’Allemagne vivent des hommes qui, sans la vanité française et sans l’orgueil anglais, patiemment et douloureusement, font de bonnes et nobles choses qui mieux connues susciteraient le courage et l’enthousiasme. À ceux-là je ne souhaite