Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/54

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bition que la Commune a tracé, risque de s’affaiblir et de s’enfiévrer. Il n’est pas sain à une grande cité ardente de vivre ainsi comme dans une muraille de soupçons. Il n’est pas sain d’habituer Paris, par cette clôture étroite, à se considérer comme un monde à part, comme une sphère contractée et impénétrable. Il n’est pas bon d’habituer la France à vivre aussi comme si Paris était séparé d’elle par un abîme.

Que les communications soient rétablies entre Paris et la France. Mais au moment où Danton semble condamner ainsi le système de surveillance jalouse institué par la Commune, il lui donne une satisfaction éclatante en ordonnant des perquisitions, des visites domiciliaires dans tout Paris. Après cette grande mesure de salut national, qui osera chicaner la Commune pour ses initiatives plus timides depuis le 10 août ? Et cette grande mesure de police révolutionnaire, la responsabilité en sera répartie entre le pouvoir exécutif qui la propose, l’Assemblée qui la vote, la Commune qui l’exécute. Toutes les forces discordantes et hostiles s’unissent, se pénètrent et se compromettent à la fois dans le même acte.

Mais quoi ? Danton ne va-t-il pas concentrer en une ou deux journées toutes les violences révolutionnaires ? Ne va-t-il pas livrer à toutes les frénésies du soupçon les citoyens forcés dans le secret de leur domicile ? Mais remarquez comme, après avoir parlé de saisir les traîtres, Danton parle surtout de saisir les armes. C’est donc surtout au profit de la patrie, c’est pour réquisitionner des armes que la Révolution va, pendant un ou deux jours, fouiller Paris. Et les soldats de la France révolutionnaire iront en chantant vers la frontière, emportant peut-être, pour les épurer au feu de l’ennemi, les passions haineuses des partis qui déchiraient la cité.

C’est tout cela que j’entends gronder et frissonner dans la parole de Danton comme dans un torrent tumultueux et clair qu’alimente l’eau des cimes. Pas une seule pensée venimeuse ou basse ; pas une insinuation calomnieuse. C’est Marat, c’est Robespierre qui disaient qu’il y aurait péril peut-être à désarmer Paris de ses défenseurs. Danton rassure ces esprits inquiets : Il faut que de Paris comme de toute la France le peuple se précipite en masse sur l’ennemi. Mais s’il tente de dissiper cette excessive défiance de Marat et de Robespierre, il ne les accuse point de manquer de patriotisme, tandis que le journal de Brissot écrit venimeusement le 31 août : « Malgré les efforts de Robespierre et de Marat pour amortir le zèle guerrier des citoyens et les empêcher de voler au secours de leurs frères d’armes, Paris ne se déshonorera pas par un lâche égoïsme. » Ah ! comme l’âme de Danton est grande et comme son esprit est haut à côté de ces misérables pensées !

L’Assemblée sur un rapport de Choudieu décréta le 29 : « Il sera fait par les officiers municipaux ou par des citoyens par eux commis, des visites domiciliaires dans toutes les communes de l’Empire, pour constater la quantité des munitions et le nombre des armes, chevaux, charrettes et chariots