Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/593

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âme dans toute la race humaine, une seule pulsation. Oui, mais cette unité suppose la monarchie universelle réglant et accordant tous les ressorts. Que devient ce rêve le jour où les hommes cessent de croire à l’infaillibilité de la monarchie unique qui s’offre à eux ? Il ne reste plus qu’à chercher l’unité dans le jeu puissant et dans le vivant équilibre de toutes les libertés. Funeste serait cet équilibre s’il devait tourner en immobilité, si une morale monotone, une philosophie routinière et un pauvre idéal de la vie réduisaient à une simplicité misérable et abstraite la richesse des esprits et des volontés. Ce serait comme un mécanisme universel s’exprimant par des individus innombrables ; ce serait à nouveau la servitude des hommes qui se seraient liés par un accord trop étroit et qui, en faisant la chaîne, se seraient enchaînés.

Mais ce péril n’est pas à craindre. Non, non, il n’est pas possible que les forces de vie, une fois libérées, arrivent à se neutraliser les unes les autres Et Forster, dans sa complaisance pour l’universelle et incessante expansion de toutes les énergies, va jusqu’à reconnaître la légitimité de l’arbitraire momentané de la force. Elle stimulera, elle réveillera, elle obligera toutes les énergies qu’elle menace à une vigueur nouvelle. Que cette force seulement ne soit pas figée et perpétuée en constitution oppressive, en dogmes stupéfiants ; qu’elle soit le vif et rapide éclair de la liberté humaine.

« Une constitution de toute l’humanité qui nous délivrerait du joug des passions et par là de l’arbitraire du plus fort, et imposerait à tous comme suprême la même loi de raison, manquerait probablement le but de l’universelle perfection autant que la monarchie universelle. Que nous servirait-il que nous ayons la liberté de développer nos facultés intellectuelles si soudain le désir de les développer nous faisait défaut ?

« Mais il n’est pas à craindre que cet instinct nous soit jamais arraché, au moins dans le seul monde que nous puissions concevoir, tant que la race humaine se rajeunira et passera des formes de la vie purement végétative à la vie animale pour s’élever de là à une vie mêlée d’impulsion physique et de sentiments moraux. La lettre, Les formules, les conclusions toutes faites ne pourront jamais vaincre dans la jeune génération l’instinct puissant et obscur de chercher par sa propre action la propriété des choses, et d’arriver par l’expérience directe à la sagesse de la vie. Dans ses veines coulera, à son insu même, le torrent de feu de la puissance et du désir. »

Ainsi qu’on ne craigne pas de voir se reformer, pour ainsi dire, à la surface des sociétés humaines la couche de glace brisée une première fois. La force des courants chauds de la passion maintiendra l’éternelle fluidité de la vie.

Et quel plaidoyer dissimulé, mais profond, pour la Révolution française ! Ce qu’on lui oppose le plus dès les premiers mois, ce sont ses violences, ses excès. Mais qui ne voit que ces abus de la force sont la rançon même