Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/640

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tion au sérieux, si ses objections ne sont pas des échappatoires, et s’il ne préfère pas l’intérêt du petit nombre des privilégiés au droit et à l’intérêt de tous.

« Pour appliquer ce principe au paysan qui n’a sur son bien aucun droit de propriété, mais qui l’a simplement reçu à usage de son seigneur, il est parfaitement clair qu’il a le droit de rendre ce bien si les services et redevances qui le grèvent lui paraissent injustes ou oppressifs. Si le seigneur veut néanmoins qu’il le garde, ils ne peuvent traiter l’un avec l’autre jusqu’à ce qu’ils soient d’accord.

« Mais non, dit le droit traditionnel, le paysan qui n’a aucune propriété sur le sol appartient lui-même au sol ; lui-même est une propriété du seigneur ; il ne peut pas s’éloigner du bien comme il veut, le droit du seigneur foncier s’étend à sa personne. Mais ceci est en contradiction violente avec le droit de l’humanité en soi ; c’est l’esclavage dans la pleine acception du mot. Chaque homme peut avoir des droits sur les choses, mais aucun ne peut avoir un droit immuable sur la personne d’un autre homme ; chaque homme a la propriété inaliénable de sa propre personne.

« Aussi longtemps que le serf veut rester, il peut rester ; aussitôt qu’il veut partir, le seigneur doit le laisser partir, et cela en vertu de son droit. Il ne peut pas dire ici : « J’ai payé en achetant mon bien le droit sur la personne de mon serf. » Personne ne pouvait lui vendre un pareil droit, car personne ne l’avait. S’il a payé quelque chose pour cela, il est trompé, et il peut s’en prendre au vendeur. Aucun État ne peut se vanter d’être civilisé quand ce droit inhumain existe encore, quand un homme a le droit de dire à un autre : « Tu es à moi. »

Et Fichte ajoute en une note indignée :

« Deux États voisins avaient fait un contrat sur la remise réciproque des soldats déserteurs. Dans les provinces frontières des deux États le servage, le droit de propriété sur la personne du paysan, était établi. Depuis longtemps un malheureux, pour échapper à l’inhumanité de son seigneur, s’était enfui au delà des frontières, et il était libre, après les avoir atteintes. Mais les seigneurs fonciers s’empressèrent des deux parts d’étendre le contrat à la livraison des paysans fugitifs, et, entre autres, un serf mourut, qui avait fui pour avoir détourné deux ceps de vigne. Il fut livré et succomba aux coups de bâton. Et cela se passait dans les cinq années qui viennent de finir, dans l’État que je considère comme le plus éclairé de l’Allemagne ! »

Oui, il y a dans Fichte un accent de Révolution. Ce n’est pas, comme Marx l’a dit, avec un dédain un peu sommaire, de l’ensemble de la littérature révolutionnaire allemande de cette époque, une traduction pédantesque de l’effort de Révolution de la France en « exigences de la raison pratique », et en formules kantiennes. Fichte se passionne pour les droits de l’homme et pour la dignité humaine, et il est prêt, visiblement, à entrer dans l’âpre combat pour les dé-