Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/72

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roi de France ou des Français, le duc de Brunswick. On ajoute que c’est l’or de l’Angleterre qui m’inspire ce ridicule projet.

« Je ne répondrai point à l’accusation de corruption : je n’ai pas eu à cet égard même le faible mérite d’un refus, et je suis assez connu pour qu’aucun ministre en Europe s’imagine pouvoir m’acheter.

« Quant à donner le trône au duc de Brunswick, je puis m’étonner peut-être qu’ayant exprimé au mois de juillet 1791 mon opinion sur l’absurdité et les dangers de la royauté, on me soupçonne aujourd’hui de croire aux grands avantages d’un changement de dynastie.

« On m’en a parlé quelquefois, et j’ai toujours répondu que cette mesure politique, utile peut-être dans les temps où l’idée d’un droit royal indépendant de la volonté du peuple avait encore des partisans, ne serait plus que dangereuse, dans ce moment où le progrès des lumières a fait disparaître cet absurde préjugé. En effet, tout changement de dynastie amène un prétendant, et alors combien la nécessité de combattre ce prétendant, de réprimer ses partisans, ne produit-elle pas de lois contraires à la liberté ! Avec quelle facilité ceux qui défendent les droits du peuple ne sont-ils pas travestis en défenseurs de la dynastie détrônée !

« Il est donc possible qu’un républicain soit d’avis de conserver une race régnante, jusqu’à ce qu’une trahison bien claire, bien prouvée, en ait rendu l’expulsion possible sans de grandes convulsions, comme cela était arrivé au mois de juin 1791 et est encore arrivé depuis, une seconde fois. Mais jamais ce républicain, surtout aujourd’hui, ne voudra d’une nouvelle dynastie, parce qu’elle ne peut être qu’un moyen de perpétuer la royauté. En Angleterre, les républicains qui se trouvaient dans la convention de 1688, ne voulaient pas que Guillaume ou sa femme eussent le nom de roi.

« Je n’ai de relations en Angleterre qu’avec deux ou trois personnes zélées pour la Révolution française, et d’ailleurs étrangères au ministère anglais, ou déclarées contre lui. J’ai cessé d’écrire au prince Henri de Prusse depuis la Révolution parce que je savais qu’il n’en approuvait pas les principes. Je n’écris qu’aux hommes à qui je puis, sans les offenser, dire ma pensée toute entière. »

Et il terminait ainsi : « Le plus grand danger de ces inculpations n’est pas de tromper les citoyens sur des hommes dont le dévouement aux intérêts du peuple pourrait lui être utile ; c’est d’accréditer des bruits absurdes par lesquels on cherche à décourager les habitants des départements frontières. »

La réponse est belle, calme et forte : au souvenir évoqué de cette vaste correspondance de philosophes, les larges horizons du xviiie siècle, tout emplis de lumière sereine, s’ouvrent au delà des fureurs sombres où un moment se resserre l’âme de la patrie. Mais quelle diminution pour Robespierre d’avoir obligé Condorcet à cette apologie !

Il nous paraît aujourd’hui extraordinaire qu’il ait pu porter une accu-