Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/721

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qu’il se propose d’arrêter l’émigration par bande vers les grandes villes ; et Price se trompait à coup sûr lorsqu’il soutenait que la crise agraire avait pour effet de diminuer la population totale, celle des villes et de Londres même, comme celle des campagnes la population industrielle et de l’industrie et, dans cette croissante des forces productives, croissance générale des salaires industriels.

Donc, en 1789, pas plus que le prolétariat anglais n’avait un assez haut degré de conscience de classe et d’unité pour formuler des revendications économiques d’ensemble, il n’était tombé à un si profond degré de misère et de souffrance qu’il ne lui restât d’autre ressource que la révolte immédiate. Au contraire, il sentait son intérêt lié à l’industrie anglaise et il verra avec ombrage tout ce qui pourrait menacer la suprématie industrielle et marchande de l’Angleterre.

Aussi bien, la scission des deux grandes classes de possédants anglais, de la classe foncière et de la classe industrielle, qui permettra au prolétariat anglais du xixe siècle d’agir sur la législation du pays, ne s’est pas encore produite. Cette scission est en germe dans les théories d’Adam Smith ; car, le jour où la classe industrielle, rompant avec le système de réglementation et de monopole, réclamera l’entière liberté commerciale pour reconquérir le marché du monde et faire de l’Angleterre l’entrepôt universel, elle se heurtera à la résistance de la grande propriété foncière.

Mais en 1789 l’accord politique conclu depuis la Révolution de 1688 entra la nouvelle aristocratie foncière et la grande bourgeoisie d’affaires subsiste encore. Les grands commerçants, les grands industriels soutiennent le régime du monopole colonial et de la protection douanière comme les grands propriétaires fonciers.

En même temps que l’accord politique, l’équilibre social se maintient entre les deux grandes classes de possédants : la grande propriété foncière s’accroît par la ruine de la peasantry, comme la grande propriété industrielle s’accroît par le développement du système des manufactures et par l’élargissement constant des débouchés. Pourtant, il est visible déjà, à bien des symptômes, que l’axe de la richesse et de la puissance économique se déplace peu à peu au profit de l’industrie, et la classe industrielle commence à trouver qu’elle n’a pas dans la Constitution anglaise une part d’influence politique proportionnée à sa puissante sociale.

Elle commence notamment à réclamer une réforme de la loi électorale. Mais c’est un mouvement lent et une prétention mesurée. Et il se trouve que le ministre dirigeant d’Angleterre, un conservateur de génie, a le sens de cette transformation nécessaire. Il donne à la bourgeoisie capitaliste confiance en elle-même et en l’avenir. Il lui promet, au moment voulu, des satisfactions précises sans la jeter dans l’inconnu de la démocratie. Et il s’applique à défendre les grands intérêts de la classe capitaliste anglaise