Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/752

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faire ce calcul et ceux qui la conduisent à la rapine ne se proposent jamais de répartir également la proie.

« Le pouvoir de perpétuer notre propriété dans notre famille est un des éléments qui concourent le mieux à la perpétuation de la société elle-même. Il met notre faiblesse au service de notre vertu ; il greffe la bienveillance sur l’avarice même. Les possesseurs d’une richesse de famille et de distinctions héréditaires sont en quelque sorte des répondants naturels de cette transmission. Chez nous, la Chambre des pairs est formée sur ces principes. Elle est complètement composée de propriété héréditaire et de distinction héréditaire. Elle forme le tiers de la législature et elle est, en dernier ressort, le seul juge de toute la propriété dans toutes ses subdivisions. La Chambre des Communes aussi, quoique non nécessairement, mais en fait, est composée de même pour la plus grande partie. Que les grands propriétaires qui y siègent soient ce qu’ils sont (et ils ont des chances d’être parmi les meilleurs) ; ils sont, en tout cas. le lest dans le navire de la communauté.

«…On dit que vingt-quatre millions d’hommes doivent prévaloir sur deux cent mille. Oui, si la constitution d’un royaume est un problème d’arithmétique.

Ainsi c’est autour de la propriété et de la grande propriété héréditaire, que Burke rallie toutes les forces conservatrices.

Mais quoi ! l’expérience n’a-t-elle pas démontré depuis que l’Angleterre pouvait faire une bien plus large part à la démocratie sans que la propriété, et même la grande propriété aristocratique, fût sérieusement menacée ? Burke ne le croyait point, et quand il dit que la propriété se défend d’autant mieux qu’elle est plus compacte, qu’elle s’affaiblit en se divisant, il va juste à rebours de ce qu’on peut appeler l’instinct révolutionnaire conservateur de la France, qui croyait enraciner la propriété en la subdivisant.

Le pamphlet de Burke, si hardiment, si injurieusement conservateur, eut un retentissement énorme. Il provoqua dans presque toute l’Europe l’applaudissement et la huée. Il fut en Angleterre même un sujet d’admiration et un objet de scandale, et il révéla, semble-t-il, aux Anglais, la force secrète et silencieuse de la passion bienveillante ou hostile avec laquelle ils suivaient les événements de France.

George Forster, qui faisait en 1791, dans la Revue allemande, le compte-rendu de la littérature anglaise, a noté le vif mouvement qui suivit. Les réflexions, les réfutations abondèrent.

« L’homme d’État Burke, ou si l’on ne veut pas jeter de la poudre aux yeux des lecteurs avec le pédantisme prétentieux qui abuse des mots sonores, le vieux faiseur de phrases échauffé Burke n’a soulevé une si violente opposition que parce qu’il a tenté d’accabler sous ses sophismes les inconséquences et ses débiles agressions la Constitution française. Son plus puissant adversaire, le juriste Mackintosh, remporta sur lui une victoire complète,