Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/757

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d’assignats constamment jetés aux flammes forment la réponse la plus décisive à toutes les attaques.

Beaucoup d’acheteurs, n’usant pas de la faculté de paiement gradué, qui était inévitable dans une vente aussi immense, ont payé d’avance tout le prix. Ç’a été particulièrement le cas dans les provinces du Nord, où d’opulents fermiers ont été les principaux acheteurs ; circonstance heureuse, si elle tend seulement à multiplier cette classe si utile et si respectable d’hommes qui sont à la fois propriétaires et cultivateurs du sol.

« Les maux de l’émission dans l’état présent de la France étaient transitoires : les bons effets en sont permanents. Deux grands objets devaient être obtenus par là, l’un de politique, l’autre de finance. Le premier était d’attacher un grand nombre de propriétaires à la Révolution, de la stabilité de laquelle dépendait la sécurité de leurs fortunes. C’est ce que M. Burke caractérise en disant qu’ils se font par là complices de la confiscation, quoique ce soit précisément la politique adoptée par les révolutionnaires anglais, lorsqu’ils favorisèrent la croissance de la dette nationale, pour intéresser un gros de créanciers à la durée du nouvel établissement… Le second objet, c’est l’extinction de la dette publique. »

Et Mackintosh en espère la réalisation. Il ajoute, avec le plus brillant optimisme :

« Il y avait une vue générale qui, dès le commencement de l’opération, avait semblé décisive aux personnes versées dans l’économie politique. Ou les assignats garderaient leur valeur, ou ils ne la garderaient pas. S’ils gardaient leur valeur, aucun des maux qu’on appréhendait ne pourrait se produire. S’ils étaient discrédités, chaque chute de leur valeur était un nouveau motif aux porteurs de les échanger contre des biens nationaux. Nul, en effet, ne voudrait garder un papier déprécié, pouvant acquérir une propriété solide. Si une grande partie des assignats était employée de la sorte, la valeur de ceux restés en circulation devrait s’élever immédiatement, d’abord parce que leur nombre serait diminué et aussi parce que leur sécurité deviendrait plus évidente. La chute des valeurs hâterait la vente des terres, et cette vente des terres remédierait à chute des valeurs. L’échec des assignats comme moyen de circulation les fortifierait comme instrument de vente ; et leur succès comme instrument de vente rétablirait par contre-coup leur utilité comme moyen de circulation. Cette action et réaction était inévitable, quoique la légère dépréciation des assignats n’en ait point rendu les effets visibles en France. »

Nous savons, nous, ce que l’histoire a fait des prédictions contraires de Burke et de Mackintosh. Au fond c’est Mackintosh qui a eu raison contre Burke. Car le crédit des assignats n’a été irrémédiablement atteint que par l’extrême crise de la guerre, et il a duré assez longtemps pour permettre à la Révolution de s’établir et d’enfoncer ses multiples racines dans les innom-