Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/804

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vain George et son ministre Pitt veulent conjurer l’orage, il gronde sur leurs têtes et ne tardera pas deux mois à éclater. Les moyens violents qu’ils emploient ne serviront qu’à hâter l’explosion, et ne feront pas, à coup sûr, rehausser les fonds qui sont baissés de douze pour cent.

« Des sociétés révolutionnaires s’étaient formées à Londres, avec un club central de correspondance qui les liait entre elles et assurait le succès de leurs opérations. Des pamphlets vigoureux, lancés dans le public, préparaient les esprits à la première crise de révolution. Qu’a fait la cour ? Elle a fait fermer tous les clubs par la force armée, elle a défendu de se rassembler, sous peine d’être traité en séditieux ; elle a interdit la faculté d’écrire, en ordonnant aux grands jurés et aux magistrats de faire poursuivre les auteurs de tous ouvrages révolutionnaires. Déjà le seul journaliste patriote qu’il y ait à Londres, Perry, auteur de l’Argus, a été obligé de s’enfuir en France, pour avoir conseillé au peuple de prendre les armes. Déjà beaucoup d’imprimeurs ont été arrêtés, et l’on instruit leur procès ; le peuple se souviendra qu’il y a cent mille mousquets dans la Tour de Londres.

« L’inquisition la plus odieuse s’exerce sur les voyageurs et sur les livres ; on veut empêcher la circulation des journaux français ; le gouvernement tremble ; il voit s’approcher le moment de la crise et tâche de l’éloigner ; mais tous ses efforts sont vains. L’armement très actif, commencé sous le prétexte de soutenir les Hollandais, mais en effet dirigé contre les Jacobins de France et d’Angleterre, n’aura pas seulement le temps de s’achever ; tout est prêt à Londres et en Écosse ; il ne faut plus qu’une étincelle pour allumer l’incendie ; et telle doit être la marche de la révolution anglaise, que la cour aura beau faire résistance ouverte ou prêter le flanc, n’en ne peut empêcher cette révolution de s’accomplir ; il faut au peuple anglais une représentation nationale, l’exclusion de tous les privilèges, l’abolition de la royauté. Il n’y a qu’une manière d’être libre, et la Constitution anglaise est un contre-sens en liberté.

« Tous les aristocrates anglais conviennent bien que cette excellentissime Constitution est vicieuse, qu’il y a de grands abus à réformer ; mais l’exemple de la France les effraie, ils voulaient endormir le peuple par un rapprochement de ce qu’on appelle les deux parties. Le ministre Pitt, et Fox, chef de l’opposition, qui ne vaut guère mieux que lui, ne sont pas éloignés de ce raccommodement ; s’il avait le malheur de s’effectuer, et qu’on s’en tînt là, on réformerait effectivement quelques abus, on réduirait quelques pensions, on donnerait une représentation à telle ou telle grande ville qui n’est pas représentée au Parlement, et l’on diminuerait celle de tel hameau composé de six feux, dont le seigneur envoie deux députés, etc., etc., et le roi resterait toujours le maître absolu de la force civile et militaire. Autant vaudrait se contenter de faire les ongles et les cheveux d’un malade qui aurait la gangrène aux viscères.