Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/808

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en crainte ; et ce motif, échappant aux chefs de l’opposition, les a laissés à la merci du gouvernement : juste châtiment, exemple mémorable qui doit avertir les hommes libres du danger de l’intrigue. La cause de cet événement, qui sera peut-être fatal au monde, est dans le caractère de ce célèbre orateur qui soutient, par son génie, la réputation d’un parti, dernier et frêle appui des défenseurs de la liberté en Angleterre. Ami des droits de l’homme, et flatteur du roi, frondeur du gouvernement et superstitieux admirateur de la Constitution britannique, aristocrate-populaire, royaliste-démocrate, Fox n’a qu’un but, celui de s’élever sur les ruines de son rival et de se venger une fois de tant de défaites parlementaires, non moins fatales à ses intérêts qu’à sa gloire. »

J’avoue que je ne comprends pas. Kersaint reproche à Fox son rôle intermédiaire et ambigu. Mais qu’attendait-il donc de lui et que pouvait-il en attendre ? Voulait-il que Fox affirmât à la Chambre des Communes les principes de l’extrême démocratie et la république ? C’était renoncer d’un coup à toute influence parlementaire, à tout espoir de modérer la politique anglaise, de l’orienter vers les réformes et vers la paix. Kersaint constate que « la peur de la Révolution a changé en crainte les espérances de réformation ». Mais la démocratie absolue ne pouvait être réalisée d’emblée, en Angleterre comme en France, que par des voies révolutionnaires, et Fox, de l’aveu même de Kersaint, n’aurait fait qu’aggraver la réaction belliqueuse.

Ou bien, au contraire, Kersaint eût-il voulu que Fox gardât le silence, même sur les idées de réformes, qu’il s’abstînt d’attaquer Pitt et le ministère ? Par là, il aurait rassuré les intérêts conservateurs et il aurait diminué l’excitation contre-révolutionnaire ; il aurait aussi affermi Pitt qui résistait à la guerre, et de toute façon il aurait accru les chances de paix. Est-ce là ce que Kersaint veut dire ? C’était demander le suicide du parti libéral anglais. C’était renoncer pour l’Angleterre non seulement à la révolution démocratique, mais à toute réforme, à toute atténuation des privilèges mêmes que l’exemple de la Révolution française rendait à peu près intenables.

Il n’y a dans le discours de Kersaint ni déclamations, ni fanfaronnades. Les vues fines et justes y abondent. Ce qui y fait défaut, c’est une direction ferme et une conclusion logique et courageuse. Il ne flatte pas la Convention et la France de l’espérance que la nation anglaise prendra parti pour la Révolution. Il ne dénonce pas la prétendue perfidie de la politique de Pitt. Non, il croit et il dit que Pitt veut la paix ; mais que, s’il est obligé par les passions contre-révolutionnaires de l’Angleterre de déclarer la guerre, il y entraînera aisément le peuple entier.

« Le prudent adversaire de Fox (Pitt) a besoin, à ce moment, de toutes ses forces ; car il faut qu’ensemble il défende sa popularité et son parti évidemment aristocrate, la royauté et son pouvoir évidemment absolu. Et, si la guerre éclate, peut-il être sûr de conserver, malgré les événements qui