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Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/825

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de certaines productions françaises sur la nature de l’homme, qui tombèrent dans ses mains dans l’ordre suivant : le Système de la Nature (de d’Holbach), les œuvres de Rousseau et celles d’Helvétius. Longtemps avant qu’il projetât l’œuvre présente, son esprit était familier avec quelques-unes des spéculations qu’on y rencontre touchant la justice, la gratitude, les droits de l’homme, les promesses, les serments et l’omnipotence de l’opinion ; l’utilité d’un gouvernement le plus simple possible (c’est-à-dire de la démocratie sous la forme pure) ne lui apparut qu’en conséquence des idées suggérées par la Révolution française. Il doit au même événement la détermination d’esprit qui a donné naissance au présent ouvrage. »

Ainsi nous n’avons point affaire, si je puis dire, à un esprit momentané, et ce n’est pas le fugitif et noble reflet des vives flammes de la Révolution que nous allons surprendre dans le livre. La pensée de Godwin a de larges assises d’étude, de travail et de méditation. Il n’est pas à la merci des impressions passagères : et pas plus qu’il ne dérive toute sa pensée des sources révolutionnaires, pas plus qu’il ne s’est donné tout entier, par mode et engouement, à la Révolution, il n’est disposé à la renoncer quand la mode tourne et quand, en Angleterre, les colères s’élèvent :

« La période dans laquelle ce livre fait son apparition est singulière. Le peuple d’Angleterre a été excité assidûment à déclarer son loyalisme, et à noter comme dangereux tout homme qui n’est pas prêt à signer le Shiboleth de la Constitution. De l’argent a été rassemblé par souscription volontaire pour défrayer les dépenses de ceux qui poursuivent les hommes assez audacieux pour promulguer des opinions hérétiques et qui les accablent à la fois sous l’autorité du gouvernement et sous les ressentiments individuels. C’est un accident qu’on ne prévoyait pas quand l’ouvrage fut entrepris, et on ne supposera point qu’un tel accident peut produire la moindre altération dans la pensée d’un écrivain.

« Tout homme, si on en croit la rumeur publique, doit être poursuivi, qui fait appel au peuple par des journaux ou des pamphlets inconstitutionnels ; et on ajoute que des hommes doivent être punis, même pour quelques paroles irréfléchies qui leur auront échappé dans la chaleur de la conversation et des débats. Il faut savoir maintenant, si en sus de ces dangereuses entreprises sur notre liberté, un livre peut tomber sous le bras du pouvoir civil, lorsque, ayant comme objet explicite de détourner du tumulte et de la violence, il est par sa vraie nature un appel aux hommes d’étude et de réflexion. On verra si une tentative peut être faite pour supprimer l’activité de l’esprit et mettre un terme aux recherches de la science. En ce qui le concerne personnellement, l’auteur a une résolution très nette. Quelle que puisse être la conduite de ses compatriotes, ils ne seront point capables de troubler sa tranquillité. Le devoir auquel il se considère comme le plus lié. c’est d’aider au progrès de la vérité ; et s’il doit souffrir à cause de cela, c’est