Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/84

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rien obtenir. Le sang impur des traîtres à la patrie ne discontinuait pas de couler. »

C’est donc l’apologie complète :

« Le bulletin de la guerre a appris au peuple que les houlans coupent les oreilles à chaque officier municipal qu’ils peuvent attraper, et les lui clouent impitoyablement sur le sommet de la tête, et le peuple, dans ce moment de guerre ouverte serait inexcusable de se permettre la représaille ? Il sait encore que dans plusieurs hôtels de Paris ceux des aristocrates qui n’ont pu s’échapper depuis l’affaire du 10 tuent leur temps autour d’une petite guillotine d’acajou, qu’on apporte sur la table au dessert ; on y fait passer successivement plusieurs poupées dont la tête, faite à la ressemblance de nos meilleurs magistrats ou représentants, en tombant laisse sortir du corps, qui est un flacon, une liqueur rouge comme du sang. Tous les assistants, les femmes surtout, se hâtent de tremper leur mouchoir dans ce sang qui se trouve être une eau ambrée très agréable ; on la respire avec délices, en attendant qu’on puisse réellement faire couler par flots le plus pur sang des patriotes. Et l’on ne veut pas tirer le voile sur le détail des vengeances du peuple, qui n’ignore point ce qu’on lui réserve s’il retombe sous le joug de l’aristocratie ! »

Oui, c’est une apologie, c’est un plaidoyer, mais on sent déjà, quatre ou cinq jours à peine après l’événement, que le journaliste s’évertue et il demande surtout que l’on tire un voile. Parfois il semble incommodé, en son récit, par une odeur de charnier.

« Le peuple qui avait placé l’un de ses tribunaux en dernier ressort au pied même du grand escalier du ci-devant Palais de Justice, y exerça les mêmes vertus et les mêmes vengeances ; le pavé de la cour était baigné de sang ; les cadavres amoncelés présentaient l’horrible image d’une boucherie d’hommes. »

Évidemment, contre les entraînements de la fureur et contre toutes les maximes du meurtre patriotique une réaction d’horreur et de pitié se produisait chez ceux-là même qui plaidaient la cause du peuple exaspéré. Le journaliste se plaint que les nerfs de Paris n’aient pas été assez ménagés :

« La place du Pont-au-Change offrit le même spectacle que la cour du Palais ; des monceaux de cadavres et des ruisseaux de sang. Mais si le peuple se livra tout entier à ses ressentiments, ses magistrats ne veillèrent pas assez à en dérober les traces. Ils auraient dû présider à la levée des corps, et y faire observer mieux les convenances. Il était si facile d’envelopper de draperies les charretées de cadavres et d’en épargner le spectacle aux citoyens pendant le long trajet qu’il fallait parcourir pour les transporter tout à découvert jusqu’au cimetière de Clamart ! »

Mais quelle est cette justice qu’il faut cacher ? Déjà, à coup sûr, je ne sais quel ébranlement nerveux se marquait dans Paris, et une sorte de protesta-