Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/88

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et, sans doute, laissé entendre au conseil de surveillance qu’il passait la mesure. En attendant la fin de cet orage inférieur, qui se traînait pour ainsi dire au-dessous de l’orage sublime de la liberté et de la patrie, il réservait pour des œuvres de salut national sa popularité et sa force.

Du moins n’avait-il pas envenimé de paroles empoisonnées, comme Robespierre, la blessure faite à l’humanité. Il intervint le 7 pour donner l’ordre que diverses personnes arrêtées aux environs de Paris n’y fussent pas conduites, et ainsi il les sauvait. Il se proposait de demander l’oubli, le vaste oubli de toutes les fautes et de toutes les haines. Il laissa donc à ceux de ses collègues du conseil exécutif provisoire qui faisaient partie de la Gironde, le soin de rétablir l’ordre.

Roland et Servan s’adressèrent tous deux à l’Assemblée, le 5 septembre. Roland, ministre de l’intérieur, parlait au nom de la Révolution, Servan, ministre de la guerre, au nom de la défense nationale. Le discours de Roland, malgré quelques traits de stoïcisme un peu affecté et irritant, fut mesuré et sage. Il ne céda pas trop à la tentation de se venger sur la Commune des longs et mesquins conflits administratifs où ils s’étaient heurtés. Il ne chercha point à la blesser. Il fit d’abord une théorie intelligente et large des révolutions qui, en leur élan nécessaire pour briser la tyrannie, ne peuvent pas toujours s’arrêter d’emblée au point marqué par les philosophes. Il rendit justice à la Commune avec une suffisante sincérité :

« La Commune provisoire a rendu de grands services, elle n’a pas besoin de mon témoignage à cet égard ; mais je le lui rends avec effusion de cœur. La Commune provisoire s’abuse actuellement par l’exercice continué d’un pouvoir révolutionnaire qui ne doit jamais être que momentané pour n’être pas destructeur. »

Il indiqua avec force que le nouveau Conseil général de la Commune devrait être un organe de délibération, non d’exécution, et il s’efforça de restituer au maire, à Pétion, le pouvoir exécutif. Il s’expliqua sur les événements de la veille avec une sorte de réserve douloureuse où parfois cependant éclatait une menace :

« Hier fut un jour sur les événements duquel il faut peut-être laisser un voile. Je sais que le peuple, terrible dans sa vengeance, y porte encore une sorte de justice ; il ne prend pas pour victime tout ce qui se présente à sa fureur ; il la dirige sur ceux qu’il croit avoir été trop longtemps épargnés par le glaive de la loi, et que le péril des circonstances lui persuade devoir être immolés sans délai. Mais je sais qu’il est facile à des scélérats, à des traîtres, d’abuser de cette effervescence et qu’il faut l’arrêter. Je sais que nous devons à la France entière la déclaration que le pouvoir exécutif n’a pu prévoir ni empêcher ces excès ; je sais qu’il est du devoir des autorités constituées d’y mettre un terme ou de se considérer comme anéanties. (Vifs applaudissements.) Je sais encore que cette déclaration m’expose à la rage de quelques