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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/114

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« Il n’y a qu’une majorité de cinq voix. Ce que je crains, c’est d’Orléans, qui, né sur le trône, c’est-à-dire dans la boue, doit nécessairement vouloir la domination… Je ne veux pas être l’instrument de ce parti… Ce parti ne veut la mort de Louis XVI que pour y placer un autre roi. »

Et c’est toute la Montagne qu’il enveloppait de ce soupçon. Brissot insiste encore longuement, presque désespérément, au nom de la paix, oubliant qu’il était trop tard, que le parti de la guerre était dès lors le maître en Angleterre, et que lui, Brissot, ne pouvait, sur la foi de quelques correspondances privées, apporter à la Convention une certitude et une garantie.

Par 380 voix contre 310, elle signifia sa volonté d’en finir. Vergniaud vota contre le sursis. Il avait sans doute entrevu la guerre civile, prête à surgir d’un vote de clémence ; et il s’était épouvanté de voir qu’en cette guerre civile la Gironde serait liée au roi. Ainsi la marche précipitée de la Révolution excluait les compromis éloquents, les vastes combinaisons un peu incertaines.

Baudot a dit : « Mirabeau a souvent entraîné, par son éloquence, l’Assemblée constituante. Je doute qu’il en eût été de même à la Convention. Les passions y étaient plus fortes que l’art oratoire. Vergniaud était grand orateur sur le char en course de la Révolution : voulait-il l’arrêter ou le faire rétrograder, il perdait tout son crédit. » Quand Vergniaud rejette le sursis, on dirait que, tombé en effet du char de la Révolution, il se met un moment à courir après lui. C’est en vain : il n’y remontera plus.

Le supplice fut fixé au lundi matin 21 janvier. Paris était tranquille. La municipalité avait ordonné que, la nuit, les maisons fussent éclairées afin de rendre la surveillance plus facile. La ville muette et dormante, avec ces innombrables lueurs immobiles et voilées, était comme le catafalque de la monarchie. Les royalistes songèrent-ils un moment à enlever le roi, à le délivrer pendant qu’il serait conduit du Temple à la mort ? C’est possible, car des appels à la clémence furent placardés çà et là. Mais ils y avaient sans doute renoncé dès le 20 janvier ; car, à ce moment, l’ancien garde du roi, Pâris, abordant dans un restaurant du Palais-Égalité le conventionnel Lepelletier de Saint-Fargeau, lui demandait : « Vous avez voté la mort ? » et le tuait. Si Pâris avait cru possible d’enlever le roi le lendemain, il se serait réservé pour cette entreprise, et il n’aurait pas éveillé les défiances par cet attentat. Il put s’échapper, mais il s’était exposé à être pris ; et il n’aurait pas couru cette chance si, le lendemain, un rendez-vous avait été donné, sur le passage du roi, aux royalistes les plus hardis. Ils ne purent sans doute, sous la surveillance active de la municipalité, se réunir et se concerter. À la nouvelle de l’assassinat de Lepelletier, un frisson de colère et de douleur, mais d’orgueil surtout, traversa le cœur des révolutionnaires, de ceux qui avaient voté la mort du roi. Qui osera dire maintenant que nous avons voté sous le coup de la menace et de la peur ? Le danger, il est pour les régicides. Et, en même temps, l’obscure réclamation de l’humanité se taisait en eux. Ils étaient