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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/140

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confondaient pas : ils étaient simplement rapprochés et coordonnés dans une même demi-brigade. La troupe de ligne ne fournissait pas ses cadres aux volontaires. Si ceux-ci élisaient un officier de ligne, c’était par un libre choix ; et l’officier élu était par cela même pénétré d’un esprit nouveau, l’esprit de démocratie et de Révolution dont les volontaires étaient animés. Le but de la Révolution à ce moment était, au contraire, de faire entrer les troupes de ligne, sans blesser leur amour-propre et leurs intérêts, dans le système général des volontaires. Ainsi (ce n’est qu’un détail, mais bien significatif), c’est l’uniforme des volontaires qui devenait l’uniforme commun de l’armée. Ainsi surtout, c’est par le principe de l’élection appliqué jusque-là pour les volontaires seuls, que devaient se faire désormais toutes les promotions. L’amalgame n’avait pas pour objet de créer une organisation militaire distincte de la nation où l’on verserait la cohue des forces improvisées. Il avait au contraire pour but d’assurer l’unité de l’armée dans un commun esprit de démocratie et de liberté, et de faire en réalité des bataillons de lignes de véritables bataillons de volontaires servant un peu plus longtemps. C’est pour cela que dans la demi-brigade deux bataillons sur trois sont de volontaires. Les paroles de Dubois-Crancé sont décisives :

« Hé ! bien ! a-t-on dit, égalisez les forces, égalisez les droits ; amalgamez un bataillon de volontaires avec un bataillon de ligne.

« Je réponds qu’en suivant ce système, au lieu de détruire, ainsi que se l’est proposé votre comité, tous les vestiges de l’ancien régime, on les fortifierait, on en doublerait l’action et les dangers. Si un bataillon de ligne est tellement dans la main de ses officiers qu’il soit susceptible du mouvement qu’ils commanderaient, nul doute que le bataillon de volontaires qui y serait amalgamé, ayant moins d’ensemble, moins d’esprit de corps, étant mélangé d’hommes qui n’ont pas toujours le patriotisme pur pour guide, ne fût complètement subjugué par l’esprit de la troupe de ligne. Ce ne serait donc plus des volontaires que vous feriez des soldats de ligne ; mais ce serait des soldats de ligne que vous feriez de nos volontaires ; personne n’en serait la dupe et dès lors plus de recrutement, ni pour les volontaires, ni pour la ligne.

« …Si les deux lignes ne sont pas détruites, s’il existe un point de démarcation quelconque, si la troupe de ligne n’est pas fondue dans les volontaires nationaux (c’est Dubois-Crancé qui souligne), si enfin l’esprit différent, quant au régime intérieur de ces corps, marche de front sous quelque forme, sous quelque dénomination que ce soit, il ne reste aucun espoir pour le recrutement de la troupe de ligne, aucun moyen d’anéantir les préjugés, de rétablir les principes. Ce serait, dit-on, détruire la discipline. De quelle discipline parle-t-on ? Est-ce de cette obéissance aveugle que Lafayette commandait à ses sbires ? Il y a longtemps qu’on sait que je me suis élevé contre cette monstruosité. Ah ! si elle eût existé cette discipline, si elle n’eût pas été violée, que de sang eût coûté la Révolution ?