Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/170

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injuste en ce qu’elle dépouillerait de légitimes propriétaires ; inutile, parce que le lendemain du partage, la mollesse, le luxe de la plupart ramèneraient, par des ventes, l’inégalité des possessions ; meurtrière, en ce que les citoyens s’entrégorgeraient avant la fin de ce partage, en ce qu’encore toute industrie serait éteinte, et que, dans peu, des milliers de citoyens périraient de faim et de misère.

« Il est d’autres mesures bien plus favorables à l’égalité et d’ailleurs bien plus utiles, bien moins dangereuses, sans parler de l’égalité de partage entre enfants, point sur lequel tous les esprits sont d’accord ; j’en indiquerai deux principales.

« La première c’est d’abolir toute hérédité en ligne collatérale. Que la république hérite, et que ces héritages soient, tous les ans, distribués en lots dans chaque district, à des jeunes gens les plus laborieux, les plus honnêtes ; cette mesure empêchera la réunion des propriétés, leur formation en grandes masses ; en divisant les possessions, elle portera l’aisance dans des familles pauvres, et inspirera à la jeunesse des deux sexes la sainte émulation du travail et de la vertu. Or cette mesure n’a rien d’injuste ; qu’un homme, pendant sa vie, use de son bien comme cela lui plaît, c’est dans l’ordre de la justice ; mais que ses droits s’étendent jusqu’après sa mort, qu’un homme qui n’existe plus dispose encore des biens de la terre, c’est ce que la société ne lui doit point, quoique jusqu’à ce jour elle l’ait permis. Les droits et les devoirs des hommes dérivent originairement des besoins de l’espèce humaine, un homme donc, après sa mort, n’ayant plus de besoins, ne peut avoir de droits ; toutes les propriétés deviennent naturellement communes à tous les hommes ; c’est donc de droit naturel que la République hérite.

« De ce principe, il est vrai, il suit que les enfants eux-mêmes ne sont les successeurs de leurs pères que par une concession de la société ; mais on ne doit pas craindre une rigoureuse application de ce principe, un abus de ce droit. La République en usera, sans doute, pour régler le mode des dispositions paternelles, et non pour ôter aux pères la faculté de transmettre leurs biens à leurs enfants ; l’intime relation entre le fils et le père, le besoin d’intéresser les pères à cultiver leurs biens, les immenses inconvénients qui résulteraient dans un grand empire de cette communauté d’héritages, assurent que nos lois ne l’établiront jamais, quand même elles aboliraient toute succession en ligne collatérale.

« La seconde mesure, favorable à l’égalité, c’est d’excepter de tout impôt le nécessaire physique de tout citoyen, de n’appeler revenu net que ce qui reste, toutes avances, toutes charges distraites, et même ce qui est absolument nécessaire à la subsistance de chaque famille. L’humanité, l’équité se récrient que les lois sur l’impôt plongent un citoyen dans l’indigence, dans la douleur, en exigeant une partie de son nécessaire ; tandis qu’elles laissent à d’autres la faculté de vivre au sein des superfluités. Et n’y a-t-il pas de l’in-