Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/191

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événements de cette journée. La section des Piques a, de plus, arrêté que Jacques Roux avait perdu sa confiance. »

Ayant contre lui la Convention, les Jacobins, Marat, Jacques Roux n’avait pas avec lui la Commune, le groupe d’Hébert. Sans doute, la Commune n’avait réprimé que très mollement l’émeute. Pache, maire depuis le 14 février, Hébert, Chaumette, ne pouvaient pas marcher à fond contre une partie du peuple, même « égaré ». Ils avaient d’abord laissé faire. Pache pourtant, personnellement, avait fait effort pour arrêter les désordres, et le journal de Brissot lui rend témoignage d’avoir saisi lui-même, de ses mains, deux pillards. Santerre, commandant de la garde nationale, était allé ce jour-là de bonne heure à Versailles pour inspecter un bataillon, et comme si dès la veille on n’avait pu prévoir un soulèvement. Mais si la Commune de Paris ne pouvait réprimer violemment l’émeute, elle ne l’approuvait pas. Sa politique était toute autre. Elle essayait d’obtenir de la Convention les plus larges subventions possibles pour maintenir le pain à un prix assez bas ; et ces scènes de violence pillarde ne pouvaient qu’indisposer l’Assemblée contre Paris. La Commune d’ailleurs était liée à la Montagne, et elle démêlait bien que Roux voulait entrer en lutte non seulement contre les Girondins, mais contre la popularité montagnarde. À vrai dire, il ne semblait pas au premier abord qu’entre les conceptions d’Hébert et celles de Jacques Roux ou de Varlet il y eût une grande différence. Lui, aussi, nous l’avons vu, il frappait fort sur les monopoleurs, sur les accapareurs. Assez récemment encore, en décembre 1792, dans le numéro 198 du père Duchêne, il avait écrit :

« Je ne prêche pas ce que les beaux esprits appellent la loi agraire. Car, suivant le calcul d’un fameux arithméticien, si les terres étaient partagées, nous n’aurions tous chacun que quarante écus de rente, ce n’est pas le Pérou. Il n’est pas possible d’établir l’égalité parfaite de fortune : car, en supposant que chaque citoyen eût un champ, un pré, un jardin, une petite métairie, celui qui saurait le mieux cultiver sa terre, qui aurait plus de force ou d’industrie, serait bientôt plus riche que son voisin. Je ne demande donc pas le partage des terres, mais ce que je veux ! foutre, c’est qu’on fasse regorger tous ces richards engraissés du sang du pauvre, qu’on fasse restituer aux financiers tout ce qu’ils ont volé à la nation, qu’on rogne les ongles à toutes ces sangsues du peuple, et on aura de quoi payer les frais de la guerre. Les accaparements cesseront, le numéraire ne sera plus vendu, le commerce ira sans tracas ; on n’amassera pas de quoi rouler voiture, mais cela n’est pas nécessaire : il ne faut à un homme sage qu’une poire pour la soif et un morceau de pain pour ses vieux jours. »

Après tout, la journée du 25 février n’était-elle pas un premier « dégorgement » ? Mais Hébert n’avait garde de s’engager à fond. Il savait répondre aux émotions diverses et confuses de sa vaste clientèle populaire. Il ne voulait pas s’avancer dans une voie étroite et se lier à un système exclusif. C’est