Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/214

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volutionnaires ardents, qui sentaient le danger, qui le voyaient, étaient exaspérés aussi bien contre l’impuissance et la mollesse girondines que contre la conspiration feuillantine et royaliste. Le chef de ces hommes était Chalier. Ah ! que de ténèbres sur lui ! Comme nous savons peu de choses du détail de son action, de sa vraie pensée ! Le modérantisme et la contre-révolution qui l’ont abattu ont obscurci ou déformé sa mémoire. Et pourtant, de toute cette ombre jaillissent encore de passionnantes clartés. C’était un Piémontais d’origine, mais né en France, et qui peu à peu, faisant du commerce à Lyon, voyageant en Europe et en Orient, était arrivé sinon à la richesse, au moins à l’aisance. Il s’était épris d’un grand amour pour la liberté, d’une grande pitié pour les pauvres ; il semble qu’il se soit imprégné de toute la misère lyonnaise, et qu’il ait converti en une exaltation révolutionnaire, à la fois violente et tendre, la mysticité un peu sombre de la grande cité.

Il était entouré d’un groupe d’hommes véhéments et qui ne le valaient pas tous : l’ancien prêtre Laussel (un homme suspect), Hidius, Achard, Granier, Fillion, Bertholon, Thonion, Ryard, Dodieu, Bertrand, Gaillard, Bultin : et il était soutenu par la fraction la plus avancée de la députation de Rhône-et-Loire, par Dubouchet, Noël Pointe, Jacques Cusset. Chalier avait marché avec Roland et la Gironde tant que Roland et la Gironde combattirent les modérés, les Feuillants. Mais depuis le Dix-Août, depuis que Roland, obsédé par sa haine de Robespierre, de Danton et de la Commune, contrariait l’action révolutionnaire, Chalier qui sentait qu’à Lyon les patriotes étaient à la merci d’un soulèvement prochain, était entré en lutte contre les rolandistes. En novembre il avait posé sa candidature à la mairie contre Nivière-Chol. Au premier tour, sur 5 787 votants. Chalier eut 2 601 suffrages et Nivière 2 041. Mais au second tour Nivière l’emporta par 5 129 voix sur 9 012 votants. J’imagine que les Feuillants et les royalistes avaient voulu faire sentir aux Girondins par leur abstention au premier tour, que sans eux ils ne pouvaient rien, et qu’ils décidèrent la victoire au second. Ils haïssaient et méprisaient la Gironde. Ils la considéraient comme un parti bâtard, égoïste, peureux et fourbe, qui avait déchaîné l’anarchie pour se pousser au pouvoir et qui ensuite, pris d’épouvante, se retournait contre elle. Mais ils savaient bien qu’ils ne pouvaient pas se découvrir sans se perdre : et c’est par l’intermédiaire du girondisme, c’est, suivant un mot de Guillon qui connaissait bien l’état des esprits et les calculs secrets de son parti, sous le voile du girondisme, que les royalistes voulaient peu à peu s’emparer de Lyon. Leur tactique ira se précisant à mesure que les événements se développent : les plus hardis d’entre eux, ceux qui interrogeaient le plus passionnément l’avenir, espéraient qu’un jour les Girondins, acculés, effrayés, comprendraient qu’il n’y avait de force solide de résistance que dans le modérantisme et le feuillantisme : ce jour-là les royalistes déchireraient le voile dont ils étaient couverts, passeraient au premier plan du combat, incorporeraient à leur