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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/26

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Louis XVI, d’ailleurs, tira parti de la maladresse de Roland : il dit qu’il n’avait pas été admis à assister à la saisie et au dépouillement des pièces et que peut-être des documents qui lui auraient fourni le moyen de répondre avaient disparu.

Les Montagnards, qui haïssaient Roland et qui étaient sûrs d’accabler Louis XVI sous d’autres charges, faisaient assez bon accueil à ce système de défense : ils affectaient de ne pas attacher grande importance à ces papiers dont Roland avait, suivant eux, affaibli la valeur probante. En général, d’ailleurs, les révolutionnaires se faisaient une idée inexacte des rapports de Louis XVI avec ses frères et avec les émigrés. Ils prêtaient au roi un plan de contre-révolution, un système de résistance et de trahison beaucoup trop suivi et lié. Ils ne savaient pas, comme nous le savons aujourd’hui par la correspondance de la reine et de Fersen, à quel point l’émigration fut souvent importune à Louis XVI et à Marie-Antoinette, et combien ils la redoutèrent. La complicité du roi avec les puissances étrangères était démontrée ou plutôt rendue sensible à la Révolution par d’innombrables indices ; mais les preuves manquaient. Il n’y avait rien dans les papiers des Tuileries qui fût l’équivalent des charges terribles contenues dans la correspondance de Fersen. Si cette correspondance avait été saisie, la Révolution aurait dû instituer d’emblée un procès de trahison contre la reine aussi bien que contre le roi ; et c’est sans doute une sentence immédiate qui aurait été portée contre celui-ci. Ici encore, l’accusation, mal secondée par des documents incomplets, tâtonnait un peu. Les révolutionnaires ne se représentaient pas très exactement les rapports du roi et des souverains étrangers. Ils ne soupçonnaient pas les résistances opposées par les empereurs d’Autriche aux demandes d’intervention du roi et de la reine. Ils interprétaient mal le traité de Pilnitz, qui était, en réalité, une manœuvre savante pour éluder les instances de la Cour de France. Marat allait jusqu’à supposer qu’on avait fait disparaître des papiers des Tuileries un exemplaire du traité de Pilnitz portant la signature de Louis XVI. L’acte d’accusation ne frappait juste, en ce point, que lorsqu’il reprochait à Louis XVI de n’avoir pas communiqué le traité de Pilnitz aussitôt qu’il l’avait connu. Mais ici encore, la preuve faisait défaut. Louis XVI répondit qu’il l’avait communiqué tout de suite. C’était faux, puisqu’il résulte de la correspondance avec Fersen qu’il l’avait eu en mains dès septembre 1791. Mais on ne pouvait lui opposer aucune pièce décisive. Les papiers des Tuileries furent donc pour les révolutionnaires une déception, et comme ils se heurtaient déjà à des difficultés juridiques, comme il paraissait à beaucoup de Français qu’il était difficile de demander compte à Louis XVI des actes antérieurs à l’acceptation de la Constitution en septembre 1791 et à l’amnistie générale qui l’accompagna, il y eut dans l’accusation un peu de flottement. C’est à cette impression que cédait Marat lorsqu’il demandait qu’abandonnant tout ce qui était ou amnistié ou contestable, on concentrât l’accusation