Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/352

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Ils étaient arrivés à la conviction funeste que leurs adversaires trahissaient, soit au profit des royalistes, soit au profit du duc d’Orléans. En tout cas, ils ne s’entendaient plus du tout sur les moyens de défendre la Révolution menacée. Il n’y avait donc plus entre eux ce lien nécessaire sans lequel la légalité n’est plus qu’un mot.

Si Marat se dérobait à la prison, il était bien résolu à se présenter devant le tribunal révolutionnaire. Déjà atteint du mal dont il allait mourir, quand Charlotte Corday le frappa de son poignard, il se ménageait pour vivre quelques mois encore, pour continuer le combat.

« Je n’attends, pour me présenter au tribunal révolutionnaire, que la signification qu’il doit me faire de l’acte d’accusation. J’ai pleine confiance dans l’équité de mes juges ; il me sera facile de confondre mes délateurs, de faire triompher mon innocence, de recouvrer ma liberté, et de me consacrer de nouveau à la défense de la patrie. Ma présence est plus nécessaire que jamais à la tribune de la Convention, aujourd’hui que le salut public est menacé de toutes parts ; aussi, brûlai-je d’impatience de couler au fond cette affaire, et de mettre un terme aux atrocités de mes ennemis. Si j’ai refusé de me constituer prisonnier, c’est par sagesse ; depuis deux mois, attaqué d’une maladie inflammatoire qui exige des soins, et qui me dispose à la violence, je ne veux pas m’exposer dans un séjour ténébreux, au milieu de la crasse et de la vermine, à des réflexions douloureuses sur le sort de la vertu dans ce monde, aux mouvements d’indignation qui s’élèvent dans une âme généreuse à la vue de la tyrannie, à l’exagération de caractère qui en est l’effet nécessaire, et aux malheurs qui pourraient être la suite d’un fatal emportement. »

Chose curieuse ! C’est dans la période où Marat était déjà atteint de cette maladie inflammatoire qu’il a écrit ses articles les plus mesurés. Il se surveillait certainement, et il s’appliquait à garder, malgré son tempérament exacerbé, quelque sérénité et quelque modération.

L’acte d’accusation parvint au ministère de la justice le 22, et le soir même, Marat se constitua prisonnier.

« J’étais accompagné de plusieurs de mes collègues à la Convention, d’un colonel national, d’un capitaine de frégate, qui ne m’avaient pas quitté. À peine étais-je entré dans la prison, que plusieurs officiers municipaux et administrateurs s’y présentèrent pour veiller à ma sûreté. Ils passèrent la nuit avec moi, dans une chambre qu’ils avaient fait préparer ; un bon lit y avait été porté, un souper qu’ils avaient fait préparer au dehors y fut servi : ils avaient poussé leurs soins conservateurs jusqu’à accompagner les plats, et faire apporter des carafes d’eau bien cachetées.

« Dès la veille, plusieurs sections de Paris, entre autres celle des Quatre-Nations et la section des Quinze-Vingts, avaient nommé chacune quatre commissaires pour m’accompagner au tribunal, et y veiller à ma sûreté. Toutes