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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/357

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juger. C’est, si l’on peut dire, le corps à corps de Paris et de la Gironde qui s’annonce.

Danton, après son foudroyant réquisitoire du 1er avril, semble repris d’hésitation. Il continue à menacer la Gironde ; c’est lui qui a décidé les Jacobins à demander la révocation des appelants, et sans doute il n’est pas étranger à la démarche des sections de Paris ; Lasource l’accusa (ou à peu près) d’avoir dressé la liste des 22 :

« Je sais pourquoi mon nom se trouve sur la liste des proscrits. Il n’y eût pas été il y a quinze jours. J’ai parlé d’un homme, c’est assez, j’ai été dénoncé. J’ai témoigné de la méfiance contre un homme sur le compte duquel on ne voulait pas permettre même, le soupçon. Dès lors, il a bien fallu me proscrire, puisque j’ai eu la témérité de m’élever contre l’idole du jour. »

Et il est probable, en effet, que sa déplorable agression contre Danton avait signalé Lasource à la colère des sections. Mais ce qui est plus significatif, c’est que, au témoignage de Levasseur, l’orateur des sections de Paris, « le jeune Rousselin, qui signalait son adolescence par une grande énergie révolutionnaire et quelques talents », était « un ami de Danton ». Et pourtant, il apparaît à bien des indices que Danton n’était pas encore résolu à aller jusqu’au bout. Il avait été obligé de se défendre contre la Gironde, et il voulait lui faire peur, non seulement par des propos violents, mais par une organisation des forces révolutionnaires qui pût l’écraser enfin si elle ne renonçait pas à ses polémiques insensées, à son détestable esprit de coterie et de division. Mais il espérait encore qu’intimidée et matée la Gironde se rallierait au grand mouvement de la Révolution, et qu’il serait inutile d’entamer la Convention. En ce sens, Danton avait une double politique, politique de menace toute prête à un coup de force, et politique de conciliation ; et c’est sans doute ce que veut dire Barère quand il parle de son « talent d’imbroglio révolutionnaire ». C’est ainsi que le 8 avril, quand une première pétition de la section de la Halle aux Blés, menaçant le côté droit, fut lue à la Convention, Danton défendit les pétitionnaires contre les violentes protestations de la Gironde, mais en des termes tels qu’il semblait désavouer toute violence et appeler la réconciliation :

« Que devez-vous répondre au peuple quand il dit des vérités sévères ? Vous devez lui répondre en sauvant la république. Eh ! depuis quand vous doit-on des éloges ? êtes-vous à la fin de votre mission ? On parle de calomniateurs ? La calomnie, dans un État vraiment libre, n’est rien pour l’homme qui a la conscience intime de son devoir… Oui, je le déclare, vous seriez indignes de votre mission, si vous n’aviez pas constamment devant les yeux ces grands objets : vaincre les ennemis, rétablir l’ordre dans l’intérieur et faire une bonne Constitution ; nous la voulons tous, la France la veut ; elle sera d’autant plus belle qu’elle sera née au milieu des orages de la liberté ; ainsi un peuple de l’antiquité construisait ses murs en tenant d’une main la