Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/362

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sections mêmes. Après tout, pourquoi les « anarchistes », pourquoi les amis de la Montagne et de la Commune y dominaient-ils ? Parce que les modérés, les « amis de l’ordre », les bourgeois à tendance girondine ou même feuillantine, restaient chez eux paresseusement. Mais qu’ils s’animent un peu, qu’ils sortent le soir de leur confortable et paisible maison pour aller dans les réunions des sections ; qu’ils y amènent leur clientèle sociale, leurs fournisseurs, leurs employés, et ils formeront une armée conservatrice qui mettra à la raison les forcenés.

Précisément, des délégués de la ville de Lyon étaient venus déclarer à la Convention, le 15 avril, que la ville gémissait sous la tyrannie d’une municipalité jacobine, qui ne cessait d’attenter aux propriétés, de menacer les citoyens connus « par l’étendue de leur commerce ». Ils avaient dit que, pour protester contre cette tyrannie, des sections se formaient en réunions permanentes, et qu’il suffirait de rendre la liberté à ces réunions, arbitrairement dissoutes par la municipalité, pour rétablir à Lyon l’ordre légal. Le député girondin de Lyon. Chasset avait introduit les pétitionnaires lyonnais juste le jour où les délégués des sections de Paris demandaient la proscription des vingt-deux. C’était opposer les sections lyonnaises aux sections parisiennes. C’était surtout avertir la bourgeoisie de Paris qu’elle pouvait se défendre comme la bourgeoisie de Lyon, et s’emparer, elle aussi, des sections. Pétion, à la fin d’avril, dans une « Lettre aux Parisiens », appela nettement à la bataille les propriétaires : quel chemin parcouru depuis sa lettre à Buzot ! Alors Pétion essayait de reconstituer l’unité du Tiers État en rassurant la bourgeoisie, maintenant il tente de l’affoler.

« Braves habitants de Paris, songez-y bien : vous n’avez pas un instant à perdre pour arrêter les progrès des méchants. Vous avez dans la Convention un dépôt national à conserver, les départements vous en demanderont compte. Sans cesse la liberté est souillée par des excès ; des agitations perpétuelles menacent de tout détruire ; on vous accusera de n’avoir pas réprimé ces désordres. Vos propriétés sont menacées, et vous fermez les yeux sur ce danger. On excite la guerre entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, et vous ne faites rien pour la prévenir. Quelques intrigants, une poignée de factieux vous font la loi, vous entraînent dans des mesures violentes et inconsidérées, et vous n’avez pas le courage de résister ; vous n’osez pas vous présenter dans vos sections pour lutter contre eux. Vous voyez tous les hommes riches et paisibles quitter Paris, vous voyez Paris s’anéantir, et vous demeurez tranquilles. On exerce sur vous des inquisitions de toutes manières, et vous les souffrez avec patience. Ce sont cinq à six cents hommes, les uns en délire, les autres couverts de crimes, la plupart sans aucune existence connue, qui, se répandant partout, aboyant dans les groupes, vociférant dans les sections, menaçant, ne parlant que de meurtre et de pillage, dictent impérieusement la loi et exercent le plus odieux despotisme sur six cent mille citoyens…