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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/364

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percer la pointe sous les phrases filandreuses et hypocrites de l’entrepreneur de publicité. Il dit dans le numéro du 4 au 11 mai, comme si le vote de l’emprunt forcé progressif avait aboli tous les antagonismes :

« Paris est toujours dans les meilleures dispositions. La très grande majorité des citoyens veut la république, malgré les sacrifices que son établissement doit coûter, et soutient la Convention, malgré tous les reproches qu’il y a à lui faire. Les riches sont tout prêts à tendre à leurs frères une main secourable. D’abord ils ont fait de nécessité vertu, ils finiront par sentir que c’est aussi une jouissance de convertir son superflu en offrandes à la patrie. Le citoyen pauvre les voit maintenant avec moins d’humeur. C’est l’opulence qui riva nos fers ; c’est elle aujourd’hui qui nous aide à les briser tout à fait. Encore un peu de temps, et nous arriverons, moitié de gré, moitié de force, à cette égalité de biens, et à cette uniformité de mœurs, base solide d’une république vraiment libre. Oui, nous arriverons, toutes les classes de la société se rapprochent, se confondent et fraternisent réellement. Rome dans tout son éclat, dans toute sa puissance, n’offrit jamais le phénomène que la France donne aujourd’hui en spectacle au monde.

« Des législateurs divisés d’opinions et au-dessous de leur caractère auguste. Des magistrats d’une inconséquence ! Des juges prononçant des arrêts plus sanguinaires que les lois de Dracon. Les prêtres rongeant leur frein dans le silence et n’osant franchir le seuil de leurs chapelles ; les riches allant au-devant du partage de leurs biens. L’artisan épuisé, et pouvant à peine travailler assez pour vivre. Des charlatans politiques occupant les tribunes de toutes les sections ; 200 000 révoltés déchirant le sein de leur patrie. Point de marine, à la veille d’être assailli par les premières nations maritimes du globe. Quatre années de révolution. Deux ans de guerre. Et cependant la France, faisant face à tout, travaille à une Constitution la plus parfaite qui ait jamais été ; cependant Paris, un peu moins peuplé peut-être, mais jouissant du calme, prend parti pour tel ou tel et va rire à la représentation du triomphe de Marat (pièce donnée sur le théâtre de l’Estrapade). Dans d’autres temps, en pareille circonstance, Paris nagerait dans le sang et ne serait bientôt plus.On bâtit dans toutes les rues. L’officier municipal suffit à peine à la quantité des mariages. Les femmes n’ont jamais mis plus de goût et plus de fraîcheur dans leur parure. Toutes les salles de théâtre sont pleines. A-t-on jamais vu contraste plus parfait en apparence ? Que penser de ce tableau ? C’est que le peuple français, et celui de Paris, principalement, est devenu plus sage que tous ceux qui se disent ses meneurs. La raison du peuple, pour peu qu’il ait la connaissance de sa force, est au-dessus de tout. Paris, Lyon, Bordeaux et Marseille donnent des leçons au reste de la république. »

Qui devinerait à ce tableau incohérent, où de fades et vaines hardiesses sont mêlées à des déclamations réactionnaires, qui discernerait sous cette idylle douceâtre et aigre les violents conflits de forces que constate et qu’an-