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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/38

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Louis XVI n’ajouta que quelques paroles d’une sentimentalité un peu tiède, au plaidoyer de Desèze :

« Mon cœur est déchiré de trouver dans l’acte d’accusation l’imputation d’avoir voulu faire répandre le sang du peuple et surtout que les malheurs du 10 août me soient attribués.

« J’avoue que les preuves multipliées que j’avais données dans tous les temps de mon amour pour le peuple, et la manière dont je m’étais toujours conduit, me paraissaient devoir prouver que je craignais peu de m’exposer pour épargner son sang, et éloigner à jamais de moi une pareille imputation. »

Ces paroles pouvaient éveiller quelque tendresse et quelque pitié dans les cœurs des royalistes fidèles ; elles pouvaient même émouvoir l’instinct d’une partie du peuple. Peu à peu la longue captivité de Louis, le tragique spectacle d’une infortune qui n’avait guère qu’un ou deux précédents dans l’histoire, les lenteurs et les incertitudes de la Révolution qui semblait douter de son droit et qui se déchirait au lieu d’agir, tout prédisposait les âmes inquiètes et dolentes à voir en Louis XVI une sorte de martyr : il se dépouillait, dans l’épreuve, de ses faiblesses et de ses fautes ; et comme il était frappé en même temps que l’Église, comme le fanatisme religieux soutirait en même temps que le fanatisme royaliste, le roi déchu, outragé, menacé, semblait porter la couronne d’épines et la croix du dieu supplicié.

C’est la Passion du roi qui avait commencé, et les paroles douceâtres qu’il prononçait à l’avant-dernière station de son calvaire avaient, pour des milliers de cœurs, un accent de résignation divine et de surnaturelle bonté.

Ce moyen de défense n’avait aucune prise sur la Convention. Sans doute, en cette crise suprême, il y avait peu de chances de sauver le roi. Mais ce n’est pas en avocat qu’aurait dû parler Louis XVI, c’est en homme d’État.

J’imagine que si Mirabeau avait vécu et s’il n’avait pas été englouti déjà par la tourmente, il aurait conseillé au roi de ne pas disputer sur le détail de l’accusation, et de ne pas émouvoir la pitié vulgaire, mais de parler aux révolutionnaires au nom de la Révolution elle-même. Il n’était pas impossible à un roi de s’élever au-dessus des préjugés de la royauté et de comprendre le mouvement de l’histoire. Louis XVI n’était pas un ignorant, mais son esprit manquait de franchise comme son caractère. Il avait à la fois trop d’humilité et trop d’orgueil. Il était humble à l’excès devant la Convention lorsqu’il niait ou équivoquait, et s’interdisait à lui-même toute accusation. Il était trop orgueilleux aussi, car, malgré le caractère tragique des événements, il ne prenait au sérieux ni la Convention, ni la Révolution elle-même. Il ne prenait même pas au sérieux les concessions premières qu’il avait faites. Tout le drame où sa vie même était engagée lui apparaissait comme un accident, qui ne touchait pas au fond du droit royal et qui ne liait pas définitivement l’histoire. Le plus grand crime peut-être de Louis XVI, c’est de n’avoir pas com-