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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/442

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doute, sur les sentiments qui animent les sections de Marseille. Il nous assura qu’ayant été, il y a peu de jours, dans cette ville pour y acheter des grains dont la commune de Roquevaire manque absolument, il eut des peines infinies à en trouver ; que partout on lui disait qu’il n’y en avait point, que cependant on lui en promit, pourvu qu’il s’engageât formellement, au nom de sa commune, à adhérer à toutes les opérations de celle de Marseille. Il nous a promis de faire constater ce fait par acte authentique, qu’il doit nous faire tenir incessamment. Nous ne devons pas vous laisser ignorer que les sociétés populaires qui sont très multipliées dans le département des Bouches-du-Rhône, et qui semblent menacées par la coalition des sections d’Aix et de Marseille, ont résolu, pour la plupart, de se réunir pour s’opposer à leur destruction que l’on prépare, qu’elles ont formé un comité central à Salon, et qu’elles ont adopté la mesure d’envoyer des commissaires dans toutes les communes pour grossir ce comité. Nous nous sommes assurés par nous-mêmes que le peuple flotte incertain entre les uns et les autres, et que tout tend à un déchirement qui doit amener la division et détruire entièrement l’esprit public qui s’affaiblit journellement par le défaut de confiance. »

Il est clair qu’il ne suffit pas, pour expliquer ce mouvement redoutable de contre-révolution, d’alléguer les maladresses des deux représentants. Il ne suffit pas de dire qu’ils ont donné des explications contradictoires sur l’arrestation du duc d’Orléans : l’un déclarait, sans doute, que la Convention avait eu raison de frapper un conspirateur, complice de Dumouriez ; l’autre, qu’elle avait eu tort de sacrifier un homme que les haines de la Gironde désignaient à la confiance des patriotes. La vérité est qu’un fond de royalisme, à demi caché jusque-là, se soulevait soudain.

Jamais la contre-révolution n’avait désarmé ; et dans le Midi surtout, il y avait toujours eu comme une conspiration latente. Pourquoi ce fond de contre-révolution émergeait-il soudain ? Parce que la Gironde, en dénonçant avec une âpreté inouïe la Commune, la Montagne, Paris, avait fourni aux réacteurs les prétextes dont ils avaient besoin.

Dans les villes du Midi, à Marseille notamment, une partie du peuple avait gardé des attaches monarchistes. C’est sous le pavillon de la royauté que des milliers de marins avaient tenté les grandes aventures, et par leurs communications incessantes avec les pays latins, avec l’Italie et l’Espagne, ils étaient tout pénétrés de superstition catholique.

J’ai noté aux Archives, dans les documents relatifs aux subsistances, le nom des navires qui voyageaient entre Marseille et Gênes en 1792 : ils ont tous gardé leur nom chrétien ou même monarchique : le Roi Henri, le Saint-Joseph, le Saint-Jean, la Très-Pure-Conception, l’Immaculée-Conception, le Saint-Constant, le Saint-Nicolas.

L’historien de Marseille, Fabre, écrivant en 1829, quand la tradition était encore toute vive, note avec colère ce caractère royaliste du mouvement mar-