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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/453

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« — Cela est vrai, répondis-je, mais ces scènes n’étaient que passagères, et elle savait se faire respecter des tribunes. Je crois bien que la Convention nationale n’a en vue que la liberté et le bonheur des Français ; mais je voudrais vous demander pourquoi, après avoir reconnu ce principe avoué de tous les publicistes, qu’il n’y a point de Constitution sans la sanction du peuple, elle a porté la peine de mort contre quiconque proposerait un autre gouvernement que le républicain. Il ne fallait pas reconnaître ce principe, ou ne pas rendre le décret du 4 décembre.

« — C’est-à-dire que vous voudriez voter pour un roi, me dit Julien.

« — Moi, voter pour un roi ! J’aimerais mieux mourir que devenir l’esclave de qui que ce soit. J’étais républicain avant toi, Julien.

« — Toi, dit-il, tu n’étais qu’un marmot, que j’étais républicain.

« — Non, non, répondis-je fièrement, j’ai passé ma vie dans les forêts, je songeais à la République quand Julien ne s’occupait que de ses intérêts. Les républicains ne voyagent pas dans de superbes berlines à six chevaux.

« — Tu es un aristocrate, il n’y a qu’un aristocrate qui puisse parler ainsi. »

« L’événement a prouvé qui de Julien ou de moi avait raison.

« Quant à Bourbotte, il rendit plus de justice à mon opinion. Il reconnut que je parlais en publiciste plutôt qu’en mauvais citoyen. Il prit des informations sur mon civisme, et il apprit que j’étais un chaud patriote. Pendant cette discussion. Carra cherchait à concilier les opinions, il avait été frappé d’entendre Julien s’écrier que la minorité devrait faire la loi partout. Quant à Dandenac, il ne disait rien…

« À Tours… je m’adressai à Tallien, je ne fus pas plus satisfait. Je logeais au même hôtel que lui ; nous mangions quelquefois ensemble. Nous parlions des affaires publiques. La conduite de Pétion et de Brissot était souvent l’objet de nos conversations. Je m’étonnais qu’ils eussent changé de principes et je disais : leurs idées politiques ont changé, et ils sont devenus aristocrates, et Tallien me dit, à cette occasion, qu’une femme de Paris lui avait prédit qu’un jour il serait aussi aristocrate, que sa réputation de patriotisme l’abandonnerait, comme elle avait abandonné Pétion, Brissot, Gensonné et autres. « Je ne crois point à cette prédiction », ajouta-t-il… Il avait une grande prépondérance dans ce pays ; son père en était sorti, il avait été cuisinier dans une maison de financier des environs qui était devenu noble en échangeant une partie de ses rapines contre des parchemins. Il était sans cesse entouré de belles dames, qui réclamaient, les unes la liberté de leurs pères, les autres, celle de leurs maris. Le représentant était sévère et doux tout ensemble. Il se conduisait de manière à satisfaire tout le monde et à entretenir la paix. Il parlait au peuple avec beaucoup d’énergie, il allait aux messes constitutionnelles des environs, montait en chaire et prêchait les principes de la Révolution et de la religion. Ces bons Tourangeaux étaient si enchantés de son élo-